"Onboard Transcontinental", la vie est ailleurs
Réalisé par le vidéaste Antonin Michaud-Soret sur une période de trois ans, Onboard Transcontinental nous emmène sur le parcours d’une course cycliste d’ultra-endurance originale : la Transcontinental Race (TCR), 4'000 km à travers l’Europe, sans assistance et en un maximum de 17 jours. Les coureurs sont libres de choisir leur trajet, et ne sont tenus de passer que par quatre points de contrôle. Une plongée émouvante et visuellement sublime dans un nouveau genre de course où le dénuement, la débrouille et la vie à la dure concourent à la plus grande des victoires : celle obtenue sur soi-même, à la (re-) découverte de l’essentiel et de ses capacités propres.
Fondée par Mike Hall (décédé en 2017 après avoir été percuté par une voiture sur le trajet de l’Indian Pacific Wheel en Australie), cette course repose sur un certain nombre de valeurs passablement éloignées de celles des compétitions cyclistes habituelles. En effet, Mike Hall considérait comme essentiels l’honnêteté (on ne triche pas), la fraternité (les participants s’aident et se soutiennent les uns les autres) et l’égalité entre les sexes : les femmes participent au même titre que les hommes, il n’y a pas de catégories. C’est d’ailleurs Fiona Kolbinger qui a gagné l’édition 2019. Mais qu’on ne s’y trompe pas : la dureté de cette course laisse sur le carreau une bonne partie des cyclistes inscrits. Seuls 50% des participants finissent la TCR, et tous visitent à un moment cet « au-delà » de la souffrance propre aux compétitions d’ultra-endurance.
Ailleurs que dans la « gagne »
L’enjeu de la TCR réside finalement ailleurs que dans la « gagne » pure. Il règne sur cette course une ambiance sympathique (voir la formidable équipe de soutien, chaleureuse et pleine d’empathie) et les paysages traversés sont à couper le souffle (le splendide passage des Alpes, les ravissants vallons, les villages pittoresques, la majesté des météores en Grèce). C’est une bonne chose, car la compétition est rude : ne bénéficiant d’aucune assistance, les participants ne peuvent compter que sur eux-mêmes, dorment à même le sol, sur le bas-coté des routes ou dans des entrées d’immeubles, se nourrissent mal (c’est un euphémisme), réparent eux-mêmes les avaries. Cette forme d’ascèse est vécue différemment par les coureurs qui forment deux groupes distincts.
Comme l’explique le narrateur-philosophe de la TCR, sorte de Diogène décontracté typiquement british, les coureurs forment deux catégories : il y a les « poètes », qui profitent du paysage et aiment faire la fête, et les « scientifiques », qui calculent le nombre de calories ingurgitées, l’énergie dépensée et planifient leurs heures de sommeil. On rencontre d’ailleurs plus souvent des « poètes » en fin de peloton… Mais tous vont au bout d’eux-mêmes, et atteignent une sorte d’état d’illumination : ils témoignent dans le documentaire d’un véritable retour à l’état d’animalité, dans lequel seul subsiste l’apaisement des besoins naturels (manger, boire, dormir), et ce dans un unique but : AVANCER. Ce dépassement de soi se paie d’ailleurs comptant : les gestes deviennent mal assurés, on pleure, on rit, on tombe. Et on se relève, encore et encore. Les coureurs se débarrassent donc du superflu et redécouvrent l’essentiel en avalant les kilomètres, passant de « l’agonie à l’extase… Et tout ce qu’il y a entre les deux ! ».
Expérience novatrice
Porté par une bande son joyeusement déglinguée, Onboard Transcontinental confirme le talent du réalisateur Antonin Michaud-Soret à plus d’un titre : il sait magnifier l’apparente petitesse de la destinée humain face à des décors naturels écrasants, exalter le vrombissement des roues sur l’asphalte et filmer les coureurs jusqu’à l’abstraction : les scènes de course pendant la nuit évoquent le motard de l’incroyable film de science-fiction Under the Skin de Jonathan Glazer, avec ses cyclistes semblables à des ovnis clignotant dans la nuit mystérieuse. Produit par les virtuoses du road movie et du film de sport extrême Ahstudio, ce documentaire propose une expérience cinématographique novatrice.
Onboard Transcontinental, un documentaire d’Antonin Michaud-Soret, Ahstudio, 2019. Pour en savoir plus, visitez le site Internet du film.
Première du film chez Commune Image, Paris, ce jeudi 19 décembre 2019. Disponible sur Vimeo on demand dès le 20 février 2020.
(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : James Robertson)