"Hit the road", une odyssée iranienne

Avec Hit the road, Panah Panahi, fils du grand Jafar Panahi, signe un premier long métrage d’un humanisme tragicomique bouleversant, qui nous fait sillonner les routes iraniennes en famille à bord d’un SUV emprunté. Un cinéaste affirmé dont le voyage démarre sur les chapeaux de roues.

Rien de tel que le road movie pour montrer, par extension et en sous-texte, que Panah Panahi a déjà bien mûri son chemin de vie pour prendre son élan et s’émanciper de l’héritage paternel. Un père qui, accusé de « propagande contre le régime » lui valant d’être interdit de filmer et de quitter le territoire jusqu'en 2030, nous a donné des œuvres mémorables, récompensées à Cannes, Berlin ou Venise. Trois visages et Taxi Téhéran, les deux derniers en date, se déroulent d’ailleurs à bord d’un véhicule, servant entre autres de moyen de contourner la censure. Il apparaît clair que rien ne réfrène son digne fils. À 38 ans, il affirme ici son style, tout en puisant dans la semence de la Nouvelle Vague iranienne de papa, avec un écho à Abbas Kiarostami, son autre mentor, habitué à tourner à l’intérieur de voitures. Une filiation doublée d’un affranchissement des codes donc, au filtre d’un humour tragicomique, qui nous embarque dans un voyage étonnant vers le possible et l’incertain.

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En apparence 

Hit the road, passé par la Quinzaine à Cannes en 2021, montre dès l’ouverture en plan-séquence la pleine maîtrise de son réalisateur pour une heure trente vibrante d’émotions et d’humanité. Une main d'enfant (Rayan Sarlak) tapote un clavier de piano dessiné sur la jambe plâtrée de son père (Hassan Madjooni), au rythme de la musique qui accompagne la scène. Une mère (Pantea Panahiha) tout en retenue derrière ses sourires, essayant de récupérer le portable caché dans le jogging de sa petite canaille d’enfant. Et un fils aîné (Amin Simiar) taciturne au volant, les yeux rivés sur la route pour une traversée dont on ignore les motifs.  

Si les conversations et plaisanteries anodines se mêlent aux dissensions familiales, qui semblent tout aussi habituelles, on ressent très vite la tension sous-jacente. Les longs plans sur les regards face caméra des protagonistes nous le rappellent en ponctuation. Quand l'humour masque une vérité tragique, c’est toute la force de l’approche Panah Panahi, opérant brillamment les changements de tonalités pour élever le récit jusqu’à la comédie douce-amère.

Vers un ailleurs 

Cette soupape, on la doit notamment à l’esprit vif et débordant d’énergie du jeune fils. Avec sa bouille craquante, l’acteur Rayan Sarlak accapare l’écran, se livrant à travers son personnage à des blagues spirituelles avec les parents, notamment le père, lequel use de son humour acerbe et pince-sans-rire pour le distraire d’une sombre réalité. Panah Panahi laisse son quatuor en accord parfait prendre les rênes avant d’élargir le champ vers l’extérieur. Car si la plupart des séquences se déroulent dans l’espace exigu de la voiture, les pauses en bord de route nous offrent des respirations sur la beauté et toute la variation des paysages iraniens qui confinent au pictural.  

Un travail remarquable que l’on doit au directeur de la photographie Amin Ja’fari. À l’exemple des plaines de couleur sable et pistache ; du fils aîné parti récupérer son petit frère courant partout avec le chien dans le désert ; d’un motard avec un sac sur la tête qui apparaît le long d’une route verdoyante avant de disparaître dans le brouillard ; du père et son fils discutant en mangeant une pomme au bord d'une rivière. Mais la caméra de Panahi atteint son paroxysme dans un long plan large pour le moment le plus déchirant, avant de nous offrir une échappée surréaliste et poétique entre hommage à 2001: L’odyssée de l’Espace et anecdote sur la voiture de Batman.

Passation 

Tout est ainsi installé de manière naturelle et distillé au compte-gouttes, insufflant cette atmosphère à la fois grave, drôle, fantasque et étrange du voyage, rythmée par des échanges qui en disent long. Qu’il s’agisse de se débarrasser du téléphone portable ou de vendre tous leurs biens. On comprend que cette traversée vers les montagnes a pour destination une zone frontalière turque pour un exil forcé. Au cœur de Hit the Road se niche dès lors en profondeur une critique de la société iranienne dont le contexte politique n’est jamais visible mais si omniprésent.  

Panah Panahi se fait ainsi force motrice dans sa manière d’appréhender la vie normale sous l’astreinte, tout en mettant en exergue la puissance des liens familiaux. Le cri de joie de Rayan Sarlak sur le toit de la voiture nous renvoie à une furieuse envie de vivre. Dans cette mise en miroir, poignante, inventive et texturée, Panahi fils parvient à s’extirper d’un fardeau inhérent à l’Iran où chacun des quatre, au milieu de cette séparation et au rythme des chansons d’avant la révolution, est en train de vivre un avenir sur une route dont on espère plus sereine.


Panah Panahi, Hit the Road (Jaddeh Khaki), Pyramide Distribution, Iran, 2022.

(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédits photo : Pyramide Distribution)