« La Grand-Messe » : petits braquets et grand carnaval
Virée dans l’univers insolite des passionnés du Tour de France, La Grand-Messe est un documentaire souventdrôle, toujours tendre et parfois même poignant. Le regard quasi anthropologiqueposé sur les spectateurs de cet événement par les deux réalisateurs belges enrichitencore considérablement le propos du film. Une réussite !
C’est l’été, il fait chaud, mais les aficionados du Tour de France n’en ont cure, et montent en masse au Col de l’Izoard (ohlala, quelle belle région !) : la multitude des camping-cars prend ses quartiers, on déploie les tentes et les transats, on boit l’apéro avec les copains. Présents sur place plus d’une semaine avant le passage des cyclistes, des retraités retrouvent leur place quasi réservée, et tuent le temps comme ils peuvent, entre randonnées – à pied mais surtout à vélo… Obligé ! –, réglages de leurs téléviseurs ou de leur connexion internet déficients (axiome : plus on vieillit, plus les appareils électroniques se dérèglent tous seuls et rapidement) et bouffonneries bon enfant – quoique parfois un tantinet graveleuses. Votre humble serviteur a découvert un univers totalement inconnu en regardant ce documentaire (il détestait le cyclisme et le phénomène des supporters jusqu’ici), parfois totalement cryptique (les obscurs termes techniques), et des rituels parfois étranges qui lui ont fait penser à une sorte d’évocation de l’esprit de carnaval, mais sur la planète Mars, et avec les personnages des Bronzés de Patrice Leconte… Bref, tout un programme !
Comme un pèlerinage
On s’attache immédiatement aux sujets principaux du film, qui sont essentiellement des ouvriers à la retraite (les jeunes montrés dans le film se bourrent la gueule, comatent ou profèrent des insanités, rien à voir avec leurs aînés), car les rituels qui rythment leur présence éphémère au col de l’Izoard sont touchants, empreints de passion et même de dévotion quasi-religieuse au Dieu Vélo, d’où le titre du film. Subdivisé en chapitres aux titres évocateurs comme La Passion ou La Montagne Sacrée (sans doute une référence au chef-d’œuvre d’Alejandro Jodorowsky), la montée du Tour de France au col est filmée comme un pèlerinage. Lorsque le passage des cyclistes s’effectue, il faut voir les expressions sur les visages : la tension nerveuse, l’agacement, la colère ou le soulagement, l’extase et l’ivresse éthylique ; on dirait des tableaux de Pieter Brueghel l’Ancien. C’est parfaitement dionysiaque, ce d’autant plus qu’aux déguisements qui ridiculisent les autorités (celles des forces de l’ordre, mais aussi religieuses) et à la consommation d’alcool s’ajoute celle des produits publicitaires gracieusement distribués par des grandes enseignes, dans une débauche proprement païenne.
Cependant, entre deux boutades, excès ou rigolades, affleure parfois une gravité bouleversante (l’évocation de la Guerre d’Algérie et des ses traumatismes, le récit du grand-père qui pleure encore cinquante ans après les faits le meurtre de sa fillotte par un sadique), et les gestes de pure compassion et de solidarité envers les coureurs au bout du roul’ touchent au sublime (le vieillard qui pousse le jeunôt cycliste, les mots gentils et les bouteilles d’eau distribués aux forçats de la pédale). Il y a du Zola dans La Grand-Messe, et avouons que quelques larmichettes discrètes ont coulé sur le visage du rédacteur de cet article à deux reprises pendant la vision du documentaire. Mais faisons fi de la tristesse, hauts les cœurs, et En route pour la joie ! A vélo, s’il vous plaît.
La Grand-Messe, un film de Meryl Fortunat-Rossi et Valéry Rosier, Supermouche Productions, Wrong Men, RTBF, France Télévisions, 2019.
(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse /Crédits photos : Supermouche Productions, WrongMen, RTBF, France Télévisions)