Parmi les Edelweiss

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En mai dernier a eu lieu, dans le Sud de la France, l’Euro Festival Harley Davidson 2017, qui a rassemblé plus de 10 000 motards. C’est cet événement qu’ont choisi les Edelweiss, club suisse fidèle de la marque du Milwaukee, pour répondre à une demande que nous lui avions faite : accompagner l’une de ses chevauchées pour vivre, de l’intérieur, la passion de la moto.

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On ne peut pas dire que ça ait bien commencé. Embouteillage sur la promenade des Anglais et à la sortie de Nice, zig-zag entre les voitures. Coups de klaxon, énervements. Est-ce que les autres nous suivent derrière ? Sergio, le road captain du jour (en un mot, celui qui prépare l’itinéraire et qui ouvre la voie), trouve une issue. Ça roule déjà mieux une fois sur la route nationale. La « formation », riche, pour ce voyage-ci, d’une bonne douzaine de terribles engins, se resserre quelque peu. La vitesse augmente. Enfin, on roule, et quand Sergio, après avoir ralenti et jeté un œil dans le rétro, prend à droite, dans la forêt, une départementale sinueuse et montante, quelque chose se passe. Un changement de dimension sensorielle – le regard qui se concentre, la force soudaine du vent sur le visage, l’odeur de la nature, le bruit unique des fameux moteurs en V de la firme de Milwaukee – le « V-Twin » qui fait « potato, potato » – mais aussi de dimension émotionnelle, puisque celle-ci nous submerge, inexorablement.

Des routes spéciales
« A chaque fois, on recherche des routes spéciales », explique Alex, l’un des fondateurs du club. « Et crois-moi, ce n’est pas si simple à trouver, ça prend de longues heures à bidouiller le GPS, scruter la carte Michelin ou solliciter Google Map. Une route spéciale, c’est une route que l’on a jamais faite, qui est peu fréquentée, qui offre de beaux virages pour satisfaire notre goût de la conduite, et de beaux paysages pour ravir nos yeux. » Conduire et contempler, cela ne va pourtant pas de soi. La moto, ce n’est pas sans danger. Tous les Edelweiss le reconnaissent, tous avouent penser à l’accident à un moment ou à un autre. « On doit être très concentré », ajoute Jean-Philippe. « Du coup, il y a des moments où je contemple le paysage, d’autres où je me concentre sur la sensation de la route. Ce sont deux plaisirs différents, cela dépend des moments. » Dominique, qui a connu la malchance d’un crash, tient des propos plus tranchés : « J’aime bien les paysages, mais il faut reconnaître qu’on ne les regarde pas beaucoup. Souvent, on les redécouvre après coup, grâce à nos prises de vue photographiques. »

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Une Harley Davidson, il n’est pas rare que cela pèse plus de 300 kg et, quand on voit les routes américaines, on peut douter qu’elles aient été conçues pour les sinuosités de nos contrées. Pourquoi pas une BMW ou une Ducati, alors ? « J’adore passer de longues heures sur ma moto, j’aime quand ça dure » raconte Michelange, qui fait de 25 à 30’000 km par année sur sa Touring Street Glide. « La Harley Davidson, c’est incontestablement la plus confortable des motos, elle est parfaite pour les grandes distances » précise Sergio. « Et puis, ça a beaucoup de couple. Après un virage, tu repars sans même changer de vitesse. La sensation est au rendez-vous, un peu comme au ski. » Comme au ski ? Plusieurs Edelweiss font le rapprochement, pour expliquer ce mélange de sensations et de contemplation, d’itinérance et d’adrénaline. « C’est vite vu, dit Sylvie en souriant. Alain et moi, l’hiver, c’est le ski. Et l’été, c’est la moto ! » Alex, lui, assure qu’il « skie mieux depuis qu’il roule. »

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Rouler fluide
Pour allier plaisir et sécurité, les Edelweiss ont la solution : il faut rouler « fluide ». C’est Michelange, informaticien de profession, qui nous explique : « rouler fluide, ça veut dire que tu n’es pas dans les à-coups. Tu gardes la constance entre virages et bouts droits, tu évites les grands coups de frein et les grands coups d’accélérateur. Tu es vraiment dans le rythme de la route que tu épouses. Ça n’a rien à voir avec la vitesse. Il ne faut pas casser le rythme de la route pour préserver le plaisir, et éviter la fatigue. » L’organisation est l’autre facette de cette solution. Si dans L’Equipée sauvage, Johnny Strabler et ses rebelles noirs semblent rouler de manière spontanée et sans se soucier de qui fait quoi, et de qui est où, tel n’est pas le cas de la formation Edelweiss. « Non, ça ne rigole pas, confirme Alex qui, sans doute parce qu’il est avocat, a un certain sens de la règle. Nous organisons des formations internes pour apprendre aux novices à rouler en groupe et développer des automatismes. Avant chaque sortie, la difficulté est annoncée (sur une échelle de 1 à 5, ndlr), et un briefing est tenu par le road captain, qui l’a conçue et la mène. Sur la route, celui-ci est aidé par un ou deux safeties, par exemple pour gérer le franchissement des ronds-points. La cohorte est fermée par un sweeper qui fait la voiture-balai. « Comme les moteurs font beaucoup de bruit, on a mis en place un langage des signes pour communiquer entre nous. »

La Harley, bien sûr, c’est aussi le rêve américain et l’idéal de liberté qu’il véhicule. Nicole, compagne et co-équipière de Michelange, a les yeux qui s’illuminent : « Le mythe Harley, pour moi, c’est l’insouciance et la liberté de la jeunesse. Timide, j’ai toujours été très impressionnée par les motards et leurs vêtements de cuir. » Yves, employé de banque, conduit une Road King, mais aussi, dans un autre contexte, une Pontiac Firebird. Avec lui, la Route 66 n’est jamais très loin : « Harley, c’est le mythe américain, a way of life. J’aime les grands espaces. J’ai passé beaucoup de temps là-bas et j’adore ça. La grandeur, l’immensité, c’est mon plaisir, la porte d’entrée du rêve américain. » Alex n’a pas parcouru la Mother Road, mais il a néanmoins été touché par la grâce : « Quand j’ai voulu acheter une Harley, j’ai vu les catalogues qui parlaient de liberté avec des belles images de désert californien en arrière-plan. Je pensais qu’on se moquait de nous. Mais quand j’ai essayé une Harley Davidson pour la première fois, j’ai vraiment eu ce sentiment de liberté. Tu fais le plein, tu pars, sans rien demander à personne. Et puis, avec Harley, il y a un style, et un sentiment de transgression. La moto est une sorte de palliatif dans une société martelée par la suffisance et la linéarité. Être sur une moto le week-end, porter du cuir, ne pas se raser, ça donne du relief aux choses. »

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La moto du groupe
C’est peu dire que les Edelweiss roulent beaucoup. Avec plus de 40’000 km par an depuis qu’il possède sa Harley, Fanky, policier, remporte la palme. « Pour moi, la moto, c’est l’ouverture au monde, sortir de mon patelin. Ça permet d’évacuer le stress, de se changer les idées, de changer d’air. Je fais partie de plusieurs clubs, mais j’aime bien rouler seul aussi. Je suis très mobile, j’aime bien sortir. » Du coup, les journées de route sont longues, à force d’emprunter les chemins de traverse, et d’en redemander. Une sortie, c’est souvent 8, 10 voire 12 heures quotidiennes sur la bécane.

Le soir, pourtant, il y a la convivialité. Cette fois-ci, c’est Enzo, photographe, qui paie l’apéro, parce qu’il roule à son rythme, et s’est fait un peu attendre. « Je suis italien raconte-t-il, alors, la ligne, le style, c’est important pour moi. J’avais une Moto Guzzi mais, après avoir essayé la Fatboy d’un copain, j’ai été séduit. Et chez Harley, il y a une dimension conviviale que les autres n’ont pas. C’est par excellence la moto du groupe. » Convivialité sur la route (le plaisir de rouler avec des gens de même niveau et de même style), convivialité hors de la route (l’amitié, la bonne humeur, la rigolade). « À la base, je déteste les clubs et j’aime rouler seul, explique Dominique. Mais c’est vrai qu’avec Edelweiss, j’ai découvert un nouveau plaisir, celui de la convivialité, et je me rends compte que j’aime bien cela. On partage nos expériences, et c’est très sympa. » Alain aussi roule souvent seul, notamment pour aller au travail, mais il apprécie le club pour la « camaraderie » qu’il apporte. « Quand on fait ces sorties, on est à la fois seul et ensemble – seul sur la moto, mais ensemble dans la démarche, pour le partage, et pour les à-côtés. » You’ll never ride alone, c’est ce que dit le slogan des Edelweiss.

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Quelque chose d’universel
Il fait bon dans les rues de St-Tropez, pas loin de Grimaud où se tient l’un des plus importants rassemblements Harley, l’Euro Festival. Il y a des motards partout, et l’ambiance sonore s’en ressent. Alex allume le cigare qu’il aime bien déguster après une longue journée d’asphalte. « Il y a quelque chose d’universel dans la moto. On ne se serait jamais rencontré, pour la plupart d’entre nous, s’il n’y avait pas eu la moto. Une fois, un membre du club m’a dit qu’en fait, on n’aurait jamais dû être amis. Il avait raison, car on vient tous de mondes très différents – un chocolatier, un financier, un huissier, un médecin, un policier… La Harley est un vecteur commun. Toutes les capacités – financière, sociale, professionnelle – sont nivelées. » La nuit sera longue et festive, c’est quartier libre le lendemain. Certains en profiteront pour se reposer et se divertir, mais plusieurs iront faire des kilomètres. La passion toujours, le plaisir intense de rouler.

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Chemin du retour. Les Gorges du Verdon, pour montrer aux journalistes, s’il le fallait, ce qu’est une « belle route ». Mais quand va-t-on arriver ? Un dernier col avant de se résoudre à prendre l’autoroute, car le temps file, et c’est dimanche. Petit halte au sommet. On est en pleine montagne – justement, le territoire de l’Edelweiss. Il fait bon, il fait beau, le paysage est splendide. Alex regarde la cime, Sylvie sourit. Un silence s’installe, qui contraste avec le vrombissement des moteurs. On sent que le groupe accueille quelque chose, qui a le goût du plaisir intérieur, et de l’apaisement. On comprend que c’est cela aussi, la moto, au-delà des sensations qu’elle procure : une façon de se retrouver soi-même.

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(Texte : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Angélique Hofmann Pittet, Nyon, Suisse)