Rien n’est meilleur que la sueur de son corps
Free to run, le nouveau film du suisse Pierre Morath, sort ce printemps sur les écrans francophones. Un film captivant, où l’on se rend compte que la course à pied est une activité qui a été, durant la seconde moitié du XXe siècle, intimement liée à l’évolution de la société, quand elle n’en n’a pas été le moteur. Tantôt adorée par les coureurs de fond, tantôt détestée, la route est l’une des composantes incontournables de cette activité. Entretien avec le réalisateur.
Roaditude – Pierre Morath, dans votre film, Noël Tamini, fondateur de la fameuse revue de course à pied Spiridon, affirme : « Tant qu’on peut aller courir dans la forêt, on est heureux ! »… C’est donc vrai, les coureurs n’aiment pas le dur et le bitume, il préfère les chemins de forêt ?
Pierre Morath – Tous les goûts sont dans la nature !… Il y a aujourd’hui tellement de manières de courir que chacun peut y trouver son compte. Ce qui est important, c’est d’être conscient du type de valeurs que l’on met dans ce geste en apparence si simple.
Nous avons été surpris de découvrir que le titre de travail de votre film était On the road, en référence à l’œuvre de Jack Kerouac. Pourquoi ce choix ?
Parce que la révolution du running est le miroir de la révolution sociale initiée par Mai 68. Et que Mai 68 s’inscrit dans la lignée du message de la contre-culture et de la beat generation : Kerouac, Burroughs, inspirés eux-mêmes par des gens comme Whitman, qui écrivait : « Rien n’est meilleur que la sueur de son corps ». Tout est là !
Pour le coureur, quel est l’importance de l’itinéraire et de l’environnement. Lorsque l’on fait du jogging, est-ce que l’on tire bénéfice du monde extérieur, ou est-ce que seule la performance compte ?
La performance compte de moins en moins, l’hygiénisme et la posture sociale de plus en plus. Mais pour certains, reste aussi ce qui comptait dans les années 70, pour les pionniers et les adeptes du mouvement inspiré par Spiridon : la découverte intime de nouveaux territoires intérieurs (sensoriels) et extérieurs (géographiques).
Il est fascinant de voir dans votre film l’évolution du Marathon de New-York et le rôle qu’il a joué dans le développement de la course à pied. Au début, son parcours était confiné à Central Park, alors qu’aujourd’hui, il traverse les cinq arrondissements de la ville. A quoi tient le succès d’une course populaire, et quel rôle y joue l’itinéraire ?
Son parcours était même initialement confiné au Bronx, un quartier mal famé et paumé. Dans le cas du Marathon de New York, le rôle central de l’itinéraire peut se comprendre par ce que dit l’historienne Pamela Cooper dans le film. En sortant de Central Park pour aller dans la ville en 1976, ce n’était plus, pour le public new-yorkais, des non-coureurs qui découvraient la course , « des fous qui prenaient possession du parc pour une journée, mais des coureurs passionnés qui venaient à nous pour nous faire comprendre combien ce symbole d’accomplissement personnel pouvait être inspirant pour tout un chacun ».
Vous-même, vous pratiquez la course à pied. Avez-vous une route de prédilection ?
La nature et la montagne sont mon terrain de jeu le plus inspirant. Mais en tant qu’ancien athlète de haut niveau, la route longue et plate est aussi le terrain où je vais tenter de renouer avec les sensations de vitesse qui, avec le temps, s’éloignent…
Certaines courses populaires ont un succès impressionnant, on voit émerger de nouveaux types d’épreuves comme l’« ultratrail »… Quel avenir se dessine pour la course à pied ?
Un avenir multi-dimensionnel. On le voit aussi chez les jeunes avec cette attirance pour cette nouvelle tendance urbaine qu’est le « parkour ». Je pense que les deux pôles opposés que sont, d’une part, la course-business, hyper organisée et marketée, du type marathons urbains et, d’autre part, la course libre, hors de toute contrainte, y compris dans un cadre « compétitif », vont se développer. Et creuser toujours plus le fossé de valeurs qui les sépare. C’est de bonne guerre. Le dieu de la « vraie course » y reconnaîtra les siens !
Le film est disponible en streaming “pay per view”.
(Interview : Laurent Pittet / Photographies mises à disposition par la production)