"Patagonie route 203", voyage au pays de l’inattendu
C’est par les routes secondaires de la steppe patagonienne et à bord d’un camion en compagnie d’un ancien saxophoniste solitaire et taciturne, que le sexagénaire argentin Eduardo Fernando Varela nous embarque, pour son premier roman. Un road trip dépaysant où l’absurde et le surréalisme se rejoignent par des détours rocambolesques.
« Ici personne ne trouve jamais ce qu’il cherche. C’est le pays de l’inattendu ». La Patagonie, terre mythique de l’extrême sud de l’Amérique du Sud dont les contours indiscernables entre l'Argentine et le Chili continuent d’enflammer les imaginations les plus fertiles. Parfaite toile pour Eduardo Fernando Varela, scénariste pour la télévision et le cinéma, qui, pour son premier roman, à soixante ans, laisse filer sa plume au gré des vents, sur ces routes secondaires rectilignes, lentes et monotones. Ici, le climat, le temps et l’espace, changeants et étirables à souhait, mènent la danse pour un périple fou, truculent et existentiel, peuplé de marginaux et d’excentriques. L’auteur à l’humour absurde entremêle avec ferveur l’aventure, la romance et l’onirisme, tout en se réappropriant le mythe de la Patagonie, ses légendes, son folklore et la toponymie des lieux aux noms fictifs et loufoques. Les fluctuations de l’existence sont ainsi à l’aune du climat imprévisible, où chacun s’égare et se retrouve dans l’immensité des paysages avalés par le néant.
Amour et amitié en zone extrême
Le taiseux et taciturne Parker sillonne les steppes à bord de son camion pour transporter ses cargaisons de fruits exotiques de contrebande. Il a fui son passé, la ville, les gens, pour embrasser une existence errante et solitaire, empruntant les routes secondaires moins surveillées par la police locale. Tous les biens qu’il possède, il les transporte dans sa remorque, qu’il installe comme un campement dans des lieux aléatoires. Un problème technique va pourtant le contraindre à marquer un arrêt forcé dans un village perdu. C’est là qu’il tombe sous le charme de Maytén, la femme du propriétaire d’une fête foraine itinérante.
Cette rencontre furtive devient rapidement obsessionnelle et le fait changer de cap, le poussant à partir à sa recherche dans ces contrées d’incertitude, si petites et si vastes à la fois. Parallèlement, va naître une amitié improbable avec un journaliste, qui recherche des sous-marins nazis, disparus depuis la Seconde Guerre mondiale, échoués quelque part dans la région. Eduardo Fernando Varela dévide sa galerie de personnages fantasques, paumés, peu aimables et burlesques, débarrassés de tout sens commun, entre un mari jaloux, des Boliviens illuminés par Dieu, des Gitans dont le nomadisme leur permet de savoir tout ce qui se passe dans la steppe, et des routiers qu’on croise et recroise au hasard de ces routes sans fin.
Espace-temps confondu
Parker s’enfonce ainsi dans un monde mystique, bizarre et parallèle, régi par un environnement mouvant, partagé par des rafales de vents contraires, des pluies qui modifient la géographie de la région, des rais de lumière qui dardent l’horizon, des nuits limpides de l’atmosphère australe. La réalité change d’une seconde à l’autre, les gens se parlent sans s’écouter dans des conversations étranges, les questions se posent sans jamais trouver de réponses claires, les lieux s’indiquent dans des itinéraires nébuleux et approximatifs. « Prenez la nationale tout droit, après-demain tournez à gauche, lundi vous tournez à droite et vous continuez jusqu’à l’Atlantique. C’est le seul océan, vous ne pouvez pas vous perdre ». Mais on y parle aussi de 68e méridien, de 46e parallèle, de sextant, d’astrolabe, d’extraterrestres, d’Indiens possédés et de stations-service semblables à des astronefs.
Si la solitude de Parker semble être son meilleur refuge dans ces confins du continent, l’amour de Maytén redessine une trajectoire où tous deux se retrouvent « enlisés dans une espèce de mare du temps ». Les heures s’étirent, en jours, puis en semaines. Varela s’amuse au fil des chapitres à moduler le déroulement du temps au gré des circonvolutions, pour des destinations qui ne semblent jamais exister mais où tout le monde finit par se retrouver. En dépit des coquilles laissées dans la traduction française, l’auteur argentin fait ainsi se confronter dans des descriptions épiques un espace-temps, habité par des personnages « prisonniers de la géographie » de cette région vertigineuse, pour une conclusion ouverte qui appartient à tout un chacun.
Eduardo Fernando Varela, Patagonie route 203, Éditions Métaillé, Paris, 2020.
(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédit photo : Kushnirov Avraham)