L'humain, jusqu'au début de la fiction
Suisse d’origine, Christian Lutz est un photographe des groupes humains, et des passions qui les tiraillent. Il s’est fait remarquer par un long travail sur le pouvoir, de 2003 à 2012, sujet taillé pour le particularisme helvète, mais qui l’a fait connaître bien au-delà. Pour le quatrième numéro de Roaditude (sortie début novembre), on le retrouve dans une posture sociale, mais avec une inspiration plus sensible, voire poétique. Il nous présente son essai, I Misteri, à découvrir dans notre nouvelle édition papier.
Roaditude – Christian Lutz, commençons avec ton actualité… A l’occasion du festival Visa pour l’image 2017, à Perpignan, la création du collectif de photographes Maps, dont tu fais partie, a été annoncée. Peux-tu nous parler de ce projet ?
Christian Lutz – Oui, en effet, je suis l’un des co-fondateurs de cette nouvelle « agence ». C’est un projet qui naît dans un contexte de crise pour la photographie professionnelle. La photo est malmenée depuis quelques années, il est toujours plus difficile pour les professionnels de faire exister leurs images et d’être payés en conséquence. Il y a aussi les problèmes que nous avons eus avec l’agence VU. VU, au commencement, c’était génial : une grande confiance, une belle dynamique de groupe. Mais depuis son rachat, dans les années 90, par une société informatique, le style de management a changé. On ne nous a plus consultés, on n’a plus écouté nos demandes. Du coup, nous avions besoin de retrouver une énergie commune et un rôle de production.
Tu es un photographe très indépendant dans la démarche. Pourquoi est-ce intéressant de rejoindre un collectif ?
On peut être indépendant dans la démarche, mais avoir besoin du groupe, et apprécier l’engagement collectif. On est plus fort à plusieurs : le travail de l’un éclaire le travail de l’autre ; tu es plus fort, tu partages les frais et les idées… Moi, j’en ai besoin, ça aide, notamment quand tu as envie de sortir de Suisse. Si on ne s’associe pas, on se replie. Et puis, il y a la convivialité : on rigole énormément.
Dans le prochain numéro de Roaditude, à sortir en novembre, tu présentes I Misteri, un essai photographique original que tu as réalisé en Sicile, à Pâques, à l’occasion d’une procession religieuse. Quelles sont l’inspiration et l’idée de ce projet ?
Il y a plusieurs choses. L’insularité, le fait d’être encerclé d’eau, c’est quelque chose qui m’a toujours fasciné et inspiré. Et puis, il y a cette procession… Il en existe beaucoup, mais celle-ci est particulièrement forte. Il y a une implication particulièrement forte de la communauté locale. Les gens ne trichent pas, ils ne font pas cela pour les touristes. Et puis, il y a l’orchestration musicale, ces sonorités si particulières qui m’ont littéralement envoûté.
Je m’intéresse aux enjeux sociaux et politiques. Je suis intéressé par l’humain qui évoque quelque chose de l’ordre d’une fiction, au point que tu te demandes si cela est réel – si cela est possible ? Qu’un rite comme celui de cette procession existe encore, mobilisant une telle foi, c’est tout simplement impressionnant.
Pourquoi estimes-tu que ce projet avait sa place dans notre revue ?
C’est un peu un contre-pied, et c’est le cas de le dire, vu que la procession, bien sûr, se fait à pied. On n’est pas, comme souvent, dans le côté contemplatif d’un paysage de route. Et pourtant, on parle bien de « chemin de croix » ? Le parcours de la procession change d’année en année, il y a une vraie itinérance. Moi-même, je fais beaucoup de marche et de vélo pour réaliser mes images. Il y a quelque chose de physique dans mon travail : à vélo ou en marchant, un rythme et un état particuliers s’installent.
Tu es un photographe connu pour ton travail sur les groupes humains, ce qui nous fait un peu oublier que tu es également un bourlingueur. Quelles sont les routes de cœur de Christian Lutz ?
C’est vrai que cela me démange, toujours, il faut que je remonte les voiles, même si je suis moins bourlingueur aujourd’hui… Les routes qui m’ont forgée sont celles des Balkans, et particulièrement en Albanie. A pied, en stop… Je souhaite d’ailleurs retourner dans le Nord de ce pays, dans la Vallée de Teth. Une route incroyable, tellement difficile à traverser, dangereuse… Avec, au bout de la route, un petit village, quelques fermiers. Une route pas bitumée, hyper escarpée, quasi impossible à passer… Mais une fois que c’est fait, tu es dans un paysage paradisiaque. Tu ne t’attendrais jamais à ça dans ce coin du monde. C’est surréel !
Un projet d’avenir dont tu peux nous parler ?
Au sein de l’agence, on est trois à subir la « crise de la quarantaine », ou du moins ça y ressemble. On s’est acheté une bécane, et on veut faire quelque chose là-dessus. Projet plus difficile qu’il n’y paraît, surtout que l’un d’entre nous n’a pas encore le permis !
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Pour en savoir plus sur Christian Lutz, vous avez la possibilité de visiter son site Internet.
(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Christian Lutz)