12% minimum (3/5) – A l’OutdoorMix Festival 2017

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12% minimum, c’est le feuilleton de l’été de Roaditude. Cinq rendez-vous « en immersion » pour mieux connaître l’équipe de longboadeurs franco-suisse Entre Couzs, qui réunit dix intrépides dont deux filles, entre rêve, passion et danger. Est-ce un sport ? Est-ce un art ?… Chapitre III, nous retrouvons nos intrépides à l’OutdoorMix Festival, à Embrun, dans les Hautes-Alpes.

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Le choc frontal est violent. Le dérapage a été lancé de façon trop hasardeuse. Un pied qui glisse et une semelle qui se bloque devant l’une des roues, stoppant net une descente de quelques soixante-dix kilomètres heure. La tête, projetée en avant, vient s’écraser sur le bitume. Sous l’intensité de l’impact, le casque se fend en deux dans un craquement terrible. La visière vole. Les jambes passent dans le dos, au-dessus de la tête, cambré plus que le corps n’est sensé pouvoir le supporter, tel un scorpion de cuir, de plastique et de chair. S’élevant une ultime fois dans les airs, il retombe avec fracas sur le plat du dos et glisse encore sur quelques mètres avant de s’arrêter. Sa protection dorsale vient probablement de le sauver d’une existence en fauteuil roulant, et son casque, sa vie, tout simplement. Le longboardeur se relève vite, court pour attraper sa planche de skate, ramasse la visière de son casque qui tourne encore sur elle-même au milieu de la route. Il se jette sur le bas-côté pour laisser libre champ à la centaine de skateboardeurs qui dévalent les 10% de la départementale rejoignant la station de Réallon, dans les Hautes-Alpes. Un bénévole placé dans ce virage lui demande s’il va bien, le mec répond que oui. Un pompier le « checkera » plus tard. Tout ira bien. Il ne s’en sortira qu’avec une bonne pizza, une bonne vieille brûlure de quelques centimètres carrés sur la peau, doux souvenir de ce qui aurait pu tellement mal finir. Les gars ne sont pas là pour jouer. Ici, chaque erreur se paye en embras-sang le goudron.

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Je ne retiens pas son nom. Mais cette chute reste l’une des plus violentes de ce freeride de l’OutdoorMix Festival 2017, où j’ai rejoint les Couzs pour la deuxième fois, dans le cadre de cette série d’articles sur le milieu du longboard de descente.

Evènement multi-sports et culturel
L’OutdoorMix Festival est ce genre d’évènement multi-sports et culturel qui rencontre un franc succès depuis quelques années en France et en Europe. Pour sa cinquième édition, la programmation musicale se compose de quelques groupes de renommée internationale tels que les DJ’s français de C2C, ou les anglais bien furieux de DirtyPhonics. Pendant trois jours et trois nuits, quelques milliers de visiteurs arpentent les abords du lac de Serre-Ponçon pour aller voir les sportifs de l’extrême descendre les chutes d’eau de la Durance en stand up paddle et en kayak, s’envoler sur les slacklines, en kitesurf ou en mountain-bike, ou encore dévaler la route de montagne spécialement fermée pour accueillir les quelques cent-cinquante skateboardeurs dont la quasi-totalité du crew Entre Couzs faisait partie.

C’est donc ça, un freeride. Une route fermée pour une occasion spéciale et tellement rare. Un moment où tous peuvent s’exprimer, partager leur passion commune, se retrouver ensemble et festoyer jusqu’au bout de la nuit à la gloire des Dieux du Bitume, du Drift et des Bushings, des Dieux de la Gomme, du Bois pressé et du Carbone. Ode débordante d’adrénaline, sacrifice musical et parfois sanglant aux impitoyables divinités du Skateboard. Pour moi, l’immersion est totale, et ces trois jours de fêtes et de glisse, de lignes vertigineuses et de courbes délicieuses resteront longtemps dans les mémoires.

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Et les descentes s’enchaînent. Remontant en convoi, entassés et tractés par les camions de location mis à disposition par l’organisation du festival, les riders se lancent des défis, partent en se tenant, en essayant de rester collés, dévalant la dizaine de kilomètres de route sinueuse au plus serrés les uns des autres. Et la magie, une nouvelle fois, d’émerveiller mes yeux ébahis. Il y a quelque chose de chorégraphique dans la danse de courbes et d’asphalte gommée, quelque chose de pur dans l’esthétisme simple et minimaliste qui se dégage du spectacle. Les rires fusent, les mains se lèvent dans un salut décontracté, à l’attention des photographes présents, en plein virage et tout en tenant la trajectoire du dérapage. De l’Art, si l’on me demande.

Epaules déboitées
Vient la pause. Deux heures pour se détendre et se relaxer – malgré l’ambiance on ne peut plus décontractée, l’intensité d’une telle descente demande cette pause, ne serait-ce que pour les bénévoles postés dans les virages, en plein cagnard et sous un soleil de feu. Certains de ces bénévoles vont aussi s’élancer sur la route dans l’après-midi, partager quelques lignes avec leurs amis de route. En haut de la route, au pied de la station de Réallon, les longboardeurs étendus dans l’herbe discutent, pique-niquent ou échangent les jeux de roues, les planches et des astuces. Ils commentent leurs exploits du matin et rigolent d’une chute où la plupart du commun des mortels aurait joint les mains à leur bouche, un cri d’effroi restant bloqué à mi gorge. Tous ne s’éclatent pas le casque en deux. Heureusement. Le plus souvent, la totalité des riders arrivent jusqu’en bas. Et en trois jours d’intenses descentes et d’interminables soirées, il n’y aura eu que quelques épaules déboitées, de bonnes brûlures sans gravité, et quelques côtes fendues pour un gars qui s’arrête dans le seul arbre d’une longue ligne droite – faute d’attention. Chez Entre Couzs, Marjorie repart avec cinq points de suture sur l’arcade sourcilière gauche. La notion de douleur chez eux n’est pas la même que pour nous autres, simples humains. Hilares, la pupille dilatée, ils comparent leurs blessures et taille de croûte. À nouveau, je me dis que quelque chose chez ces gens ne tourne pas rond. À les voir dans leurs cuirs moulants, le sifflement précédant le claquement d’un fouet résonne dans l’oreille de mon imagination. Je secoue ma tête et en chasse ces idées. Le sujet est sur le longboard et les liens qu’ils entretiennent avec la route. Si l’on devait poser une étiquette sur l’orientation sexuelle qui se développe entre eux et leur belle goudronnée, on pourrait peut-être se pencher vers le S-M… Sortant de la torpeur de mes réflexions, j’observe avec une léthargie certaine quelques chiots de deux mois traînant dans l’herbe et faisant le bonheur des Couzs Augustin et Gaëtan.

En plus de Marjorie, Lyde, Lucas, Gaétan et Augustin que je connaissais déjà, il y a la jeune et jolie Anne Poursin. Elle a 23 ans, elle vit à Annecy depuis trois années maintenant et travaille pour la CPAM de sa ville d’adoption en tant que technicienne de prestation. Sans chercher plus loin la signification du terme et avant que cela ne me laisse perplexe, je me la joue un peu plus journaliste que de raison et lui demande son palmarès. La belle est la championne de France 2016, s’envolant sur le titre devant Lyde, troisième et Marjorie, seconde et donc vice-championne. Déçue, Marj’ se rattrape, en me disant, sourire en coin, qu’à défaut d’avoir le titre, elle a au moins le vice pour elle. Celui d’Anne, son vice, c’est son amour pour le tiramisu au speculoos et au caramel de beurre salé…

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Il y a aussi le suisse de l’équipe, Jules Hornung, 22 ans. Il a découvert le skate il y a sept ans, en se baladant dans les rues de Genève par un beau soir d’été. Il y rencontra un des membres fondateurs de l’association Geneva Longboarders et n’a pas décroché depuis. Il étudie en biologie, à l’Université de Genève et vise un Bachelor, ce qui ne l’empêche pas de rouler au plus haut niveau, et d’avoir développé son skateboard attitré, un pro-model, avec son sponsor.

Style et audace
Et puis parmi eux, une fusée. Un O.V.N.I. de style et d’audace. Et s’il ne parle pas beaucoup, les trajectoires qu’il choisit en disent long sur la passion du longboard skate qui l’habite. Yanis Markarian est ce qui se fait de mieux à l’heure actuelle en matière d’esthète et d’engagement avec une planche sous les pieds. Le grand Couzs, Greg de Black Kross, ne cesse de lui répéter : avec un niveau pareil, un tel style et à l’âge qu’il a, il pourrait décrocher la lune et se trouver de véritables sponsors. Il pourrait probablement vraiment vivre de sa passion. Car le longboard ne permet pas de vivre pleinement, même pour des athlètes évoluant au plus haut niveau du sport. Yanis pourrait faire partie des quelques rares privilégiés du milieu, mais il ne semble pas encore prêt. Manque de confiance, léger excès d’humilité ou simple désir de garder sa passion intacte en ne la pervertissant pas d’un contrat transformant le rêve en business… L’histoire verra, l’accumulation de traces gommées laissées dans son sillage dira.

Avant que l’on ne se quitte, Gaétan m’interpelle. « Eh Colin, après avoir vu tout ça. . . Quand est-ce que l’on te met sur un skate ? »

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ire les épisodes précédents: Episode 1 – Episode 2 – Episode 4 – Episode 5

(Texte et crédits photo : Colin Hemet, Chambéry, France)