« J’ai essayé de m’éloigner autant que possible des clichés du road trip américain »
Rencontre avec le talentueux photographe Garry Loughlin, irlandais de souche basé à Bruxelles. Ses travaux photographiques éclectiques (des paysages urbains ou sauvages, des portraits) sont à l’image de leur auteur : paisibles, ironiques, contrastés. Son livre Between Spaces nous montre sa version personnelle du road trip à l’américaine, un voyage effectué sur deux roues dans différentes régions des USA, où l’œil du photographe a saisi la beauté secrète de la banalité.
Roaditude – Garry Loughlin, votre dernier ouvrage Between Spaces sorti en 2014 – si l’on omet la récente édition d’A Farewell to Arms à partir de clichés plus anciens – contient des photographies réalisées sur la route pendant votre traversée des Etats-Unis à vélo. Pensez-vous que le fait de voyager sur deux-roues vous a permis d’avoir un regard différent sur les paysages et les sujets potentiels ?
Garry Loughlin – Sans aucun doute, c’est même une des raisons principales qui m’ont fait choisir le vélo comme mode de transport. Ce rythme de voyage plus lent m’a ouvert de nouveaux horizons. Quand je voyage en voiture, l’occasion d’un bon cliché est finalement déjà derrière-moi au moment où je m’en rends compte. A vélo j’ai une meilleure appréhension de ce qui m’entoure, c’est plus facile pour moi de laisser mon regard et mes pensées errer, surtout sur les petites routes peu fréquentées. Ainsi, cette manière de voyager a rendu les haltes et le contact avec les gens plus faciles, j’ai pu obtenir des bribes d’information sur les régions que je traversais, ce qui m’a permis d’en approfondir l’expérience.
Vous avez commencé votre carrière en tant qu’ingénieur et êtes devenu photographe presque par accident, n’est-ce pas ?
Ha, on ne peut pas vraiment dire que j’ai eu une « carrière » d’ingénieur ! J’ai étudié l’ingénierie pendant quelques années, et c’est à cette période que j’ai été initié à la photographie par mon colocataire. J’ai décidé de prendre une année sabbatique et de suivre un cours de formation au portfolio pour voir si cela me convenait. Dès le premier mois de cours, j’ai su que c’était ce que je voulais faire. L’année suivante, j’ai donc poursuivi afin d’obtenir un diplôme en photographie et j’ai complètement laissé tomber l’ingénierie.
Continuons sur la notion d’accident : sur la plupart de vos clichés, il y a comme une irruption de la présence humaine ou d’objets saugrenus – une cannette de soda, un rocher doré, voire un dinosaure! – dans le cadre, vous avez un faible pour ce qui est incongru ?
Clairement. Je suis attiré par les juxtapositions, en particulier avec des objets qui ne ressemblent à rien au premier abord mais qui, si on les examine plus en détail ou qu’on les regarde sous un autre angle, s’en voient transformés et acquièrent une nouvelle existence. J’ai une grande expérience de photographe d’architecture, par conséquent quand je vois un élément qui n’a pas ou plus de forme, cela attire mon attention, car j’aime relever le défi de lui conférer une image intéressante.
En ce qui concerne les portraits, mon intention était d’intégrer les sujets dans leur environnement. Pour moi, ces gens étaient comme des repères sur les moments particuliers ou les expériences communes vécues dans les espaces où ils ont été photographiés. Sans ces présences humaines, certains des espaces qu’elles occupent n’auraient aucune signification pour moi.
Quand vous étiez sur la route, pourquoi avez-vous surtout pris des clichés de lieux désincarnés, sans vie, ou de forêt primaire ?
J’ai essayé de m’éloigner autant que possible des clichés du road trip américain, qui est déjà lui-même un concept cliché. Je voulais évoquer la notion de sentiment d’appartenance, mais sans obligatoirement l’identifier précisément. Alors, bien sûr, certaines régions peuvent être identifiées facilement, notamment grâce aux montagnes ou d’autres éléments en arrière-plan. De même, les forêts de séquoias de Redwood sont aisément reconnaissables, mais elles ont eu un effet si profond sur moi que je me devais de les inclure dans le livre.
Puisque vous parlez de road trip, pourriez-vous nous dire quelle a été votre route favorite pendant ce voyage à vélo, et pourquoi ?
Ce n’est pas facile de répondre à cette question, car chaque lieu avait sa qualité propre. Mais les routes qui sortent vraiment du lot sont celles qui traversent les Montagnes Rocheuses, au Colorado, les panoramas y étaient chaque jour plus incroyables. J’ai aussi beaucoup apprécié le Wyoming, malgré les vents contraires qui rendent la progression difficile. Les paysages y sont époustouflants, j’avais l’impression de me trouver en plein Far West, voire carrément sur une autre planète.
La vue de vos clichés semble avoir un effet relaxant et apaisant sur les spectateurs, comment expliquez-vous cela ?
C’est exactement le sentiment que j’ai cherché à éveiller ! En effet, le fait de pédaler, le plus souvent seul, a instillé en moi un certain sentiment de paix. Pendant ce voyage, je passais parfois des journées entières sans entendre d’autre son que celui de mes roues frottant le bitume, le souffle du vent ou le son de ma voix. Etre au grand air et seul avec soi-même pendant une longue période de temps, voilà quelque chose que l’on a rarement l’occasion d’expérimenter de nos jours. On a parfois besoin de ça pour relancer la machine.
Sur quels projets avez-vous travaillé récemment et quels sont vos projets futurs ?
Je vis et travaille désormais à Bruxelles. Depuis que je me suis installé en Belgique je me suis notamment intéressé au sentiment d’appartenance qui est enraciné dans les langues wallonne et flamande, et je photographie des endroits à la frontière entre les deux régions.
Garry Loughlin, Between Spaces, publication à compte d’auteur disponible sur le site de l’artiste : www.garryloughlin.com.
(Interview et traduction : Nicolas Metzler / Crédits photo : Garry Loughlin)