Géographie musicale d’une Amérique en déroute
Avec Modern Country, le jeune prodige William Tyler inonde, de son blues folk sans parole et lumineux, l’Amérique des routes et des mythologies tenaces. Un disque révélateur.
William Tyler a été guitariste de deux des grandes formations d’Americana de ces 15 dernières années (Lambchop et Silver Jews), avec lesquelles il a aiguisé sa technique de fingerpicking, tel un orfèvre. Il aurait, en toute logique, du être rôdé à l’exercice de la tournée continentale américaine, coincé dans le tour bus ou la voiture remplie au chausse-pied, taillant de l’autoroute comme un écolier son unique crayon. Et pourtant, William Tyler a été pris d’une crise de panique totalement flippante sur une de ces Interstates comme il a du en parcourir des centaines. Il en a développé une phobie des autoroutes qui l’a forcé à prendre les petites routes, les nationales, les chemins de traverses.
Une Americana contemplative et aérienne
Cet itinéraire bis l’a inexorablement plongé dans l’histoire de son pays, l’Amérique : son identité, son rêve qui n’en a même plus le nom, les reliques d’une mythologie qui ne sait plus quoi faire de ses trucks stops, de ses stations-service désertes, de ses villes fantômes… et de ses racines musicales. Le résultat de cette méditation née de la route est Modern Country, un titre en oxymore qu’il résume en ces mots : « La géographie culturelle de cette Amérique qui tend à disparaître m’est apparue progressivement durant ces longs voyages sur la route. Elle est toujours vivante, malgré les autoroutes et les gratte-ciel qui la poussent toujours plus loin en bordure des campagnes ». Sur sept titres instrumentaux, il distille une Americana contemplative et aérienne. Highway Anxiety ouvre le disque sur le drame qui lui a donné son premier souffle, et donne ses intentions : un inventaire musical folk sous influences blues, qui évoque tout autant Bill Frisell (Highway Anxiety) que Steve Reich (Gone Clear), Mark Knopfler (Albion Moonlight) ou encore Michael Brook (The Great Unwind).
Plus qu’un état des lieux, c’est une lettre d’amour à l’Amérique et ses mythes perdus en cours de route. Il rend hommage à ce qui a fondé l’espoir et la promesse américains, en y mettant toute la lumière et l’espérance, restées intactes même dans les pires moments de son histoire : le sublime Kingdom of Jones n’est autre qu’un hommage au comté de Jones qui pris ses distances avec le Sud esclavagiste durant la Guerre de Sécession.
Accentuant le mouvement de ses prédécesseurs Desert Canyon (2015), Impossible Truth (2013), Behold the Spirit (2012), Modern Country rejoint un lignage de disques qui ont approché l’identité américaine par le biais de ses espaces et des routes qui, en la traversant, on tenté d’en prolonger la perspective. Tout comme le Nebraska de Springsteen, William Tyler en arpentant le territoire américain, son histoire, ses représentations et ses lieux abandonnés, ses interstices, explore l’écho qu’il provoque en lui. Et révèle le road trip pour ce qu’il est ultimement : un voyage en soi.
Modern Country de Wiliam Tyler, chez Merge Records.
(Texte : Nicolas Bogaerts / Crédits photo : Merge Records)