Free to run - mais encore... (3/5) - Le hashing, avenir de la course à pied
Free to run, le film du suisse Pierre Morath qui raconte l’essor de la course à pied, a connu un beau succès ce printemps. On y découvre notamment Noël Tamini, fondateur de la revue culte Spiridon – revue qui accompagna le phénomène de 1972 à 1989. Quel regard cet acteur clé de l’histoire du « running » porte-t-il sur le film ? Il nous propose ses remarques et réflexions en 5 chroniques exclusives. Dans ce troisième rendez-vous, il nous explique pourquoi le « hashing », mouvement évoqué par le film, à ses yeux, est l’avenir de la course à pied.
Le film Free to Run s’achève sur un bout de course « hash ». Inspirée de la chasse au renard, la course hash nous fait revenir au vrai cross-country, celui du début du XIXe siècle, avant le renouveau de l’athlétisme. Au printemps 2010, j’en étais à ma 130e course avec le Hash House Harriers, nom de mon club, créé à Addis Abeba en 1981, mais initié à Kuala Lumpur en 1938, par un officier anglais d’origine catalane. Il y aurait aujourd’hui environ 2000 clubs de HHH, pour quelque deux millions de hashers. Quant à traduire « Hash House Harriers »… Si le mot « harrier » dit le « coureur de cross », en certain argot « hash house » signifie « gargote ».
Une manière originale de découvrir les paysages
En Ethiopie, cela se passe le samedi après-midi à travers forêts et pâturages, champs et ravins, et l’on y suit des traces (papier blanc recyclé) laissées le matin même sur un parcours qui varie à chaque fois, selon les traceurs, ou hares (lièvres). Deux circuits, à la carte, pour coureurs et marcheurs. Pas la moindre licence exigée; contribution modique (moins d’un euro) pour les frais de transport. Pas de douche, pas de classement, et donc ni « diplôme » ni prix, sinon un t-shirt pour tous à certaines occasions. Par exemple, ce jour où des hashers écossais, des marrants, convièrent tout le monde à célébrer l’anniversaire d’un célèbre poète connu d’eux seuls. Wikipedia nous apprend que « ce jeu, empreint de l’humour britannique, possède tout un rituel de dérision qui s’exprime notamment par le jargon utilisé dans la pratique des courses. C’est une manière originale de découvrir les paysages d’une région, tout en faisant un peu de sport. »
En outre, faute de la moindre prime, cette forme de course n’offre pas la moindre prise aux dopeurs, qui s’en détourneraient, écoeurés. Très peu d’attrait pour les sponsors, qui n’ont rien à en traire. Mais aussi dédain des autres marchands du temple, car ils ne pourraient faire main basse sur cette forme de course, ouverte à tous, aux pauvres comme aux riches, ainsi réunis. De fait, à Addis, il y a toujours une majorité d’indigènes avec les « férindji », les Blancs. On l’a compris : les marchands du temple sont obligés d’aller se faire voir ailleurs. Quant aux médias, ils ne sont jamais sollicités, et d’ailleurs ils n’y trouveraient pas un os à ronger. Toutefois, à certaines occasions, d’aimables sponsors ont leur nom qui figure sur un t-shirt offert à chacun, créé par exemple lors d’une excursion d’une journée, voire d’un week-end, toujours dans la nature, et dans une ambiance, oh la la! faut la vivre pour y croire…
Chacun pour soi mais tous ensemble
Quant aux pratiquants, chacun pour soi mais tous ensemble : ce pourrait être un slogan des courses hash… et des grands-messes populaires de la course moderne. Il y en a un autre, disent les hashers, portés à l’autodérision, qui se décrivent ainsi: «Des buveurs de bière qui ont un problème avec la course». De fait, après l’effort, le réconfort: à commencer par de la bière bien fraîche. Pour les coureurs à longue haleine, y a-t-il plus agréable que la bière, présente à chaque fin de course hash? Cette manière de se désaltérer vient de loin. «Quand les gentilshommes des midlands avaient trop bu d’alcool, ils couraient le renard pour éliminer l’excédent», dit Lucien Dubech, dans Où va le sport ? (1930). Aujourd’hui, au hash on commence par courir.
Ensuite, tous font cercle pour présentations, gags et pintes de rigolade, avant de prolonger l’au revoir dans un bar bien choisi. Et là, musique à gogo – « chauffe, Marcel ! » – et belles jeunesses qui gambillent ! Après la panse vient la danse, disaient déjà nos aïeux.
Tout cela n’est pas neuf, songeront certains, à la fine bouche, ou certaines, des sucrées. En effet, au Cross du Figaro, en décembre 1977, le journaliste Jerome MacFadden me disait déjà : «Je reviens d’un assez long séjour aux Etats-Unis. Chez nous, l’engouement pour la course à pied dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Et j’ai remarqué une évolution intéressante: de plus en plus, les gens qui courent se fichent pas mal de recevoir un prix ou de lire leur nom dans un journal local. Ils courent tout simplement pour leur santé, pour s’entraîner ensemble à vivre mieux.» Pareil aujourd’hui pour les dizaines de milliers de bipèdes qui font les grands marathons ?
Savourer l’ambiance hash
Cela s’est vérifié chez nous. Vous désirez courir, seul, à deux ou plusieurs: à la bonne heure, c’est même devenu « tendance ». Puis, chaque samedi après-midi, vous décidez de savourer l’ambiance hash, tout comme vous aimez aller, le samedi soir, bien manger dans le brouhaha d’un bon restaurant. La course hash réalise de manière idéale (cela dépend aussi de la qualité des animateurs du jour) l’aspiration des jeunes et des vieux, hommes et femmes, à célébrer ensemble, tout d’abord dans la nature, leur joie de vivre. Et donc de cultiver ce bonheur tout simple d’avoir des bras et des jambes, et de savoir encore s’en servir. Avec le hash, il faut bien le dire, au diable la performance, c’est la jovialité qui prime !
« Nous ne vivons rien d’autre que l’instant, dit Jean Sulivan dans Joie errante (1974), et nous sommes absents, obsédés des blessures du passé, des craintes pour l’avenir. » La course hash, ou l’art de vivre ensemble l’instant, le moment présent, comme un précieux présent.
Rien de nouveau sous le soleil, d’accord avec vous, bonnes gens délicats. En effet, « exercitez-vous ès bois et ès champs », recommandait il y a plus de six siècles le poète Eustache Deschamps, au temps de son exil en Angleterre. « Courez tous avec nous », disaient les t-shirts de la revue Spiridon, quelques années avant la « mode » du jogging.
Ce qui est nouveau – croyez-en un bipède qui a commencé à courir il y a plus d’un demi-siècle – c’est que les courses hash sont le rendez-vous de bons vivants. A preuve, j’ai connu des Zurichois qui n’y sont allés qu’une seule fois. «Pourquoi ne sont-ils pas revenus?» ai-je demandé à la jeune fille rousse qui les avait invités. Réponse de la navrée: «Ils m’ont dit: la course à pied, c’est pas de la rigolade…»
(Texte et crédits photo : Noël Tamini)