Mythologie de la route : c'est quand qu'on arrive ?
Tous les deux mois, Gérald Berche-Ngô, auteur de Variations insolites sur le voyage(Cosmopole, Paris, 2016), partage avec nous sa mythologie de la route. Sujet de circonstances cette fois-ci, départs en vacances obligent.
En 2015 (selon statista.com), 80% des Français ont choisi la voiture pour partir en vacances et se rendre sur leurs lieux de villégiature. Parmi eux, il y avait certainement quelques lecteurs potentiels de Roaditude ou autres amoureux de l’asphalte, qui roulaient pour le plaisir de rouler et pour qui l’important n’était pas tant la destination que le voyage lui-même. Mais, à côté de ces goudronautes passionnés, combien d’enfants, de conjoints, de passagers se sont ennuyés à mourir pendant le trajet ? À l’heure des premiers départs estivaux, voici quelques conseils pour les petits ou les grands adeptes du « C’est encore loin ? » et du « C’est quand qu’on arrive ? ».
Comptez les animaux écrasés – Comme il y en a beaucoup, cela risque de vous occuper un bon moment… En 2014, l’ONG Natuurpunt en a recensé 27 millions sur le seul réseau routier belge ! Continuez le jeu en essayant de deviner quelle distance ils ont pu parcourir avant de se faire déchiqueter par un 38 tonnes rempli de fruits et légumes. Souvent, les victimes ne sont pas loin du bord, sur la bande d’arrêt d’urgence. Mais était-ce leur point de départ ou leur point d’arrivée, et cela change-t-il ou non les choses de mourir tout près du but ? Posez-vous la question. Et puis aussi celles-ci : qu’étaient-ils, avant ? Hérisson, chat, chien, lièvre, renard, blaireau ? Depuis quand se décomposent-ils sur le macadam gris pâle et usé ? Combien de véhicules leur ont-ils roulé dessus ? Combien de passages faut-il pour qu’un animal à fourrure finisse par ressembler à un tapis de prière défraîchi, à un paillasson mort ?
Écoutez de la musique – Fort (les baffles doivent cracher des décibels qui font vibrer les portières) et, surtout, n’hésitez pas à varier les ambiances de votre playlist. L’acid-techno, l’electronica ou le dubstep s’adapteront idéalement à un trajet nocturne sur une voie rapide ou dans un tunnel en ville : en effet, certains de leurs sons graves rappellent le rugissement d’un moteur tandis que d’autres, plus aigus, évoquent clairement les klaxons, les dérapages ou les frottements contre la barrière de sécurité avant un crash. Sur les routes de campagne, préférez les chanteurs champêtres, ceux qui parlent de bottes de foin, d’amourettes avec une pâquerette au coin de la bouche, de feux de camp avec des chipolatas au bout d’un bâton et des pommes de terre emballées dans de l’aluminium. Sur l’autoroute, l’album Autobahn de Kraftwerk sera bien sûr un incontournable, tout comme l’accordéon d’Yvette Horner dans les cols du Tour de France.
Admirez le paysage – Ne faites pas pareil que la marquise de Sévigné, qui ne daignait jamais regarder à l’extérieur lorsqu’elle traversait la forêt de Fontainebleau en carrosse, et qui ne l’a donc pas une seule fois décrite dans ses célèbres et nombreuses Lettres (plus de mille !). Le spectacle est aussi dehors, dans les reliefs montagneux, les champs à couleurs variables, les ciels indéfinis ou les sculptures grandioses des artistes d’État (comme le Poulet de Bresse de Jean Brisé, « le plus grand poulet du monde » – 20 mètres de haut – à Dommartin-lès-Cuiseaux, représenté sur notre photo de tête). Inventés dans les années 1970, les immenses panneaux de « signalisation d’animation culturelle et touristique » nous renseignent quant à eux sur la nature, les cours d’eau, les patrimoines culturels et architecturaux à proximité. Lisez-les. Vous saurez tout sur la confection des manouilles lors de la « fête de l’ail rose » à Lautrec, ou sur la spécialité de Lalbenque, l’omelette truffée géante.
Et si, après tout cela, vous vous ennuyez encore, prenez un somnifère. Dormez. Et rêvez de téléportation. Mais ne vous bercez pas trop d’illusions, ce mode de transport n’est pas pour demain. Dans ce domaine, l’expérience la plus encourageante date de 2009. Elle a été réalisée par des physiciens du Joint Quantum Institut de l’université du Maryland : ils ne sont cependant parvenus à téléporter qu’un seul quantum bit d’information (la plus petite unité de stockage d’information quantique) d’un atome à un autre, à une distance d’à peine un mètre…
Lire les précédentes chroniques : Avril 2016 – Mai 2016
(Texte : Gérald Berche-Ngô / Crédit photo : BlueBreezeWiki)