Ma(p) passion

Roaditude – Loris Grillet, vous êtes un jeune graphiste & web designer indépendant. Pouvez-vous nous présenter votre parcours, et vos influences ?
Loris Grillet – J’ai fait mon apprentissage de graphisme dans une agence de communication à Genève avant de partir pour un voyage de six mois au Japon en 2010. En rentrant, j’ai cumulé quelques expériences professionnelles et autres stages avant de me mettre à mon compte, presque par hasard… Et entre 2012 et 2017, en parallèle de mon activité indépendante, j’ai eu la chance de travailler successivement dans deux entreprises à temps partiel qui m’ont permis d’affûter mes compétences et d’élargir l’éventail de mes connaissances, surtout en ce qui concerne le web et le mobile.

Mes influences sont probablement aussi éclectiques que mes goûts musicaux (de Renaud à Macklemore en passant par Queen). Cela peut aller du graphisme traditionnel suisse de Josef Müller-Brockmann aux créations futuristes et barrées de The Designers Republic… Je trouve le graphiste américain Aaron Draplin fascinant, autant pour ses créations que pour le personnage lui-même, un vrai concentré de créativité et d’authenticité. Le studio web Teehan+Lax a longtemps été un modèle à suivre pour tout ce qui est création numérique, sites web et applications avant leur rachat par Facebook il y a quelques années. Ayant grandi dans les BD et surtout les mangas, j’ai beaucoup d’affection pour l’illustration en général. Là aussi cela peut aller de l’univers du généralissime Akira Toriyama (auteur de Dragon Ball) aux mondes fantastiques de Tove Jansson (créatrice des Moomin).

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D’où vous vient le goût de la cartographie ?
Je crois que j’ai toujours aimé les cartes. Que cela soit des plans routiers, toujours très factuels, dans les aires d’autoroutes quand j’étais gamin. Les plans de réseaux de transports publics qui ont cet aspect plus abstrait et graphique. Ou les fameux plans de piste de ski qui sont pour leur part très illustratifs. J’ai l’impression d’être aspiré dans la carte quand j’en regarde une. Il y a ce côté ludique de retrouver l’endroit où l’on se trouve, où l’on va, identifier des repères et autres détails… On peut y passer des heures, comme un «Trouvez Charlie». Une carte a quelque chose de passionnant dans le sens où c’est autant un objet informatif qu’un objet artistique. Je pense que ce doux mélange est ce qui m’attire le plus dans la cartographie.

Vous dessinez des cartes sur mandat, mais également pour votre plaisir… Quelle est votre démarche ?
Je trouve que de dessiner une carte d’un endroit qu’on a visité est un excellent moyen non seulement de le graver dans sa mémoire, mais aussi de pourvoir le partager ensuite. C’est donc très naturellement que je dessine des lieux que j’ai visité. La plupart du temps à mon retour, mais j’essaye de plus en plus de le faire directement sur place, comme carnet de voyage. En ce qui concerne le style de la carte, quand il s’agit d’un projet personnel, j’essaye généralement de sortir de ma zone de confort et d’exporter des terrains inconnus. J’ai dernièrement réalisé ma première carte 100% analogique – réalisée sur papier, avec de l’encre et de l’aquarelle, sans passer par l’ordinateur – justement car c’est une technique avec laquelle je suis moins à l’aise.

Avant de passer à la «planche à dessin», je commence par identifier les éléments clés: les principales routes, les lieux clés à mettre en avant et les éléments du paysage aidant à se situer. Cela me permet de définir le cadrage. C’est la partie que je trouve la plus complexe de mon travail: la zone que l’on souhaite illustrer n’a pas toujours les proportions de notre support et il faut parfois déformer un peu la réalité. S’octroyer le droit de changer les perspectives, ou ne pas placer le Nord en haut.

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Créer des cartes à l’heure de Google Maps et de la géolocalisation, n’est-ce pas un peu dérisoire ?
Absolument pas! Ce sont pour moi deux choses différentes et même complémentaires. Si son but était de calculer un itinéraire, nous dire à quel rond-point tourner ou à quelle gare il faut changer de train, une carte illustrée ne ferait bien entendu jamais un aussi bon travail que le smartphone que nous avons aujourd’hui tous dans la poche. Une carte illustrée a la vocation de transmettre une ambiance, un environnement et un ressenti plus global. C’est un travail plus artistique, plus humain, mais aussi plus personnel car sujet à l’œil subjectif de son créateur. Il ne faut donc pas voir les deux comme des opposés mais comme des cousins qui font le même travail dans un but différent.

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Entre tracé vectoriel et dessin à la main, votre cœur balance, semble-t-il… Qu’en est-il exactement ?
Je dessine souvent pour m’évader des écrans. Mais paradoxalement, en dehors de mon carnet de croquis, mon outil de travail principal pour les cartes illustrées est l’iPad Pro. Quand je dessine sur iPad, je n’ai pas la sensation d’être derrière un écran et je n’ai jamais autant dessiné (de ma vie adulte) que depuis la sortie de cet iPad et de son stylet… Il apporte justement le meilleur des deux mondes: le côté intuitif, portable et facile du dessin à la main ainsi que les fonctionnalités plus avancées (calques, retour en arrière, ajustements de taille ou de couleurs, etc.) de l’ordinateur. Je n’ai jamais aimé faire des choix sur les choses que j’aime faire et j’ai justement la possibilité de pouvoir faire du dessin vectoriel sur mon ordinateur, du dessin numérique sur mon iPad ou du dessin analogique sur le support physique de mon choix. Alors pourquoi choisir? Multiplier les techniques (ou les mélanger: dessin à l’encre et colorisation numérique par exemple) me permet aussi d’être plus versatile sur les commandes que l’on peut me faire.

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En matière de cartes, avez-vous des maîtres ou des coups de cœur à partager avec nous ?
Nate Padavick est le fondateur du site They Draw And Travel. Son site est non seulement une source quasi intarissable d’inspiration mais qui fait aussi beaucoup pour promouvoir cette discipline. C’est quelqu’un de très humble, j’ai suivi un cours en ligne avec lui cette année et j’adorerai qu’il organise des workshops en Europe afin de me perfectionner avec lui… Le studio islandais Borgarmynd réalise de magnifiques cartes de l’Islande, un pays que j’ai visité déjà deux fois et que je rêve de revoir. J’adorerais me procurer l’une de leurs publications mais elles sont difficile à trouver car ce sont des objets uniquement distribués par les offices du tourisme sur place. Je crois bien que je vais être obligé de m’y rendre en personne! Et j’ai beaucoup d’affection pour les cartes anciennes, d’une époque pré-spatiale où le travail se faisait par relevés, calculs ou par déduction. Comment ne pas tomber amoureux des monstres marins dessinés dans les coins des cartes anciennes?

Sur quoi travaillez-vous en ce moment, et quels sont vos projets d’avenir en matière de cartographie ?
Je bave depuis des années sur de belles mappemondes antiques et j’ai beaucoup aimé travailler sur des cartes à la main. J’ai donc cette lubie de vouloir m’essayer à dessiner une carte du monde sur une sphère…Je ne sais pas si je me lancerai dans cette aventure un jour et pour être franc je ne sais même pas par où commencer mais c’est quelque chose qui m’intrigue beaucoup! J’aimerais aussi pouvoir produire des imprimés des cartes que j’ai déjà réalisée et des autres à venir. C’est chouette de voir mes cartes sur écran mais je pense qu’elles auraient encore plus de vie sur papier, que cela soit sur une carte postale ou sous cadre. La cartographie illustrée est actuellement une occupation annexe à mon travail de graphisme et web design. J’aimerais réellement développer cette activité afin d’avoir des mandats plus réguliers. Quand je dessine des cartes je ne vois plus le temps passer, c’est une véritable escapade mentale…

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Pour en savoir plus sur Loris Grillet, visitez son site Internet.

(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Loris Grillet)