Mezkal, sur les routes hallucinées des cartels mexicains
Après son diptyque Gun Crazy avec Steve D pour Glénat, Jef s’associe à Kevan Stevens pour les éditions Soleil. Avec Mezkal, le duo nous offre un autre mélange des genres, bien frappé, entre road trip mystique, histoire d’amour et action débridée pour une plongée dans l’ultraviolence des narcotrafiquants au Mexique.
Meskal a le goût de pulque et d’agave. On ne craint pas de frapper le verre sur la table et de boire cul sec. Sous ses airs de redite des genres qu’il exploite, ce one shot pour adulte de près de 200 pages nous embarque par son scénario rythmé, ses dialogues déjantés, ses couleurs chatoyantes, ses références cinéphiliques et looney tunes-ques et son graphisme dans l’esprit Moebius-Jodorowsky, qui frôle même parfois le psychédélisme. Vananka Darmont est un jeune américain au bout du rouleau. Il perd le même jour son job, sa mère -après avoir ingurgité alcool et médicaments- et sa maison, saisie par les huissiers liée à une dette parentale. Mais un rêve bizarre et récurrent doublé d’une carte postale d’anniversaire envoyée de Mexico par son père, qui l’a abandonné à quatre ans, le somment de quitter Chicago et de mettre les bouts.
De Charybde en Scylla
« Faut-il tout perdre pour s’tirer ? » Pas d’American dream pour Vananka Darmont, aux faux airs de Joaquin phoenix avec son costard noir. Flanqué de sa guitare en bandoulière, il trace sa route tant bien que mal en direction du Mexique pour une nouvelle vie. Mais le passage à la frontière d’El Paso ne semble pas non plus la panacée ; la foule agglutinée pullule jusqu’à son arrivée à Ciudad Juàrez, ville devenue la plus dangereuse au monde. L’herbe n’est décidément pas plus verte ailleurs, mais elle se fume plus volontiers pour Vananka, qui saute dans un train de marchandises en marche, avant de s’arrêter au milieu du désert. Là, il croise deux Amérindiens, un enfant aveugle et un vieux chaman, en train de décharger des caisses de nourriture. Tous deux l’accueillent dans leur ferme familiale. Et c’est là qu’il rencontre la belle Indienne Leila. Problème : son cousin, Felipe, est le caïd local qui va le forcer à travailler pour lui en conduisant des camions chargés de drogue à livrer de l’autre côté de la frontière. Lui, qui n’a conduit que des BMX.
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Fury Road
Jef et Kevan Stevens nous plongent ainsi dans l’ultraviolence des cartels où gangsters mangeurs de glace, nain agent de la DEA et Hell's Angels aux gueules cassées se confrontent à mort. Les moteurs en surchauffe font très vite voler le sable du désert mexicain. Comme de coutume, Jef (Gun Crazy, Corps et Âme Geronimo en collaboration avec Matz et Walter Hill) compose une partition graphique déchaînée, aux couleurs vives, pour les adeptes du genre : ça flingue, ça tranche, ça égorge et ça décapite à tout-va. Les balles fusent, l’hémoglobine jaillit. Le découpage des planches se met au service de l’action, jouant avec les phylactères et les cases multiformes qui débordent souvent du cadre. Le tout ponctué par des doubles pages en guise de pause et d’ellipses scindant les chapitres. Et même, par une scène de sexe explicite. Jef prend aussi le contrôle des dialogues, bien allumés, rythmant le scénario de Kevan Stevens, qui marque son entrée dans le neuvième art.
Quêtes insensées
Tout fonctionne ainsi de concert, même poussé à la caricature. Un bémol cependant avec le personnage féminin, toujours enfermé dans les mêmes carcans outranciers et stéréotypés. Au-delà d’un twist appréciable, le traitement de sa « psychologie » gagnerait en originalité. Pour autant, ce road movie à la fois mystique et survolté se lit d’une traite et sans déplaisir, au rythme de la guitare de notre antihéros, de Bob Dylan, de Santana et de Gipsy Kings. Une quête de sens et d’amour hallucinée dont les réponses aux questions se trouvent quelque part, ici où là et même ailleurs. « Du monde des vivants, tu n’en n’as pas terminé le chemin. », lui susurre le vieux chaman, ce guide et protecteur aux pouvoirs étranges « Des vérités t’attendent encore, Vananka, par-delà les montagnes, les fleuves, et les mers, l’amour, la vie… Ley o lay - lay le loy lao ly o les o lay… » Car oui, rien ne semble arrêter Vananka Darmont, même pas les morts auxquelles il fait face, renaissant sans cesse pour retrouver sa bien-aimée, enlevée par cette bande de bikers qui roulent pour Jésus, et son père disparu.
Jef et Kevan Stevens, Mezkal, éditions Soleil, Hors collection, Paris, 2022.
(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédits photo : éditions Soleil 2022, Jef et Stevens)