« Taxi ! », les bienfaits de l’intimité passagère

L’illustratrice, scénariste et dessinatrice néerlandaise Aimée de Jongh relate dans son roman graphique, Taxi !, ses rencontres avec quatre chauffeurs de taxi vécues sur la banquette arrière lors de ses voyages aux États-Unis, en France et en Indonésie. Touchant.

Héler un taxi, s’installer sur la banquette arrière et indiquer sa destination aux chauffeurs restent des réflexes universels aux quatre coins du globe. Mais ce qui se passe à l’intérieur de ce petit espace clos du véhicule relève parfois de moments uniques. Parler de tout, de rien, ou se confier aux chauffeurs, ces inconnus qu’on ne reverra sans doute jamais, dévoile ainsi ses pouvoirs libérateurs. Des bienfaits de l'intimité passagère dont on estime rarement la portée thérapeutique. C’est aussi avoir un premier contact avec une ville, son contexte et l’un de ses habitants. C’est l’approche d’Aimée de Jongh qui se penche sur près de cent pages sur ces rapports éphémères le temps d’un trajet via ses multiples déplacements dans le cadre de son métier.

La bédéiste de 32 ans, née à Rotterdam aux Pays-Bas, a déjà à son actif une dizaine de séries de bandes dessinées et a participé à plusieurs films d’animation. Il s’agit de son deuxième album traduit en France cette année après Jours de sable, qui contait la tragédie américaine de la sécheresse du Dust Bowl. Elle nous offre ici un récit à huis clos et autobiographique plein d’humanité.

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Hey, Taxi ! 

Aimée de Jongh se met ainsi en scène et conte, dans des histoires courtes, ses rencontres avec quatre taxi drivers dans différentes villes et périodes de sa vie : Los Angeles (2014), Jakarta (2017), Washington D.C (2017) et Paris (2018). Le récit s’ouvre au moment où elle part pour Lax, l’aéroport de Los Angeles, afin de récupérer un ami. La cité des anges est ensoleillée et la route fluide. Avec énergie et vivacité, elle explique au chauffeur qu’elle y vit dans depuis trois mois, mais n’a pas son permis de conduire car, aux Pays-Bas, la plupart des Néerlandais se déplacent à vélo. Le conducteur, caché derrière ses lunettes de soleil, ne semble pas très intéressé par ses propos et donne un bon coup de Klaxon pour y mettre fin. Ce qui permet à Aimée de Jongh de faire sa première transition, tout en posant un regard sociologique dans sa narration. Elle laisse ainsi place à un Paris pluvieux et embouteillé, avec un chauffeur plus chaleureux.

Mais l’atmosphère graphique qui s’en dégage s’avère plus mélancolique, avec en toile de fond les événements tragiques de Charlie Hebdo et du Bataclan. Jakarta lui permet de revenir sur  la mort de son père et ses origines indonésiennes, tout en abordant l’histoire de ce territoire qui fut asservi par trois siècles de domination coloniale néerlandaise. Cet échange plein de pudeur invoque le temps du deuil. À Washington, la conversation se fait plus légère, sous les auspices d’un festival de bande dessinée où elle est invitée.  

Entre conversations et confidences 

La dessinatrice esquisse ainsi avec sensibilité sa propre histoire et celles de ces conducteurs qui finissent peu à peu par se confier sur la vie, la mort, la société, la circulation. Des moments furtifs dont elle garde de précieux souvenirs. L’humour, les hommages et les clichés s’invitent également au cœur des conversations. À l’instar du regretté footballeur néerlandais Johan Cruijff comme unique référence à la « Hollande », encore confondue avec les Pays-Bas.

Graphiquement, Aimée de Jongh croque avec justesse les architectures des villes et des rues, joue habilement avec tous les équipements dans l’espace clos des véhicules. Le tout dans un trait précis et caractéristique de son travail qui se démarque de Jours de sable aux planches colorées. Ce roman graphique est en effet un jeu d’encrage intense en noir et blanc qui monopolise le regard et l’attention, pour mieux faire défiler ce petit théâtre intimiste sur quatre roues. Des tranches de vie qui s’entremêlent avec simplicité et sincérité, marquées par des transitions fluides qui s’accordent avec les contrastes et les ambiances. Quatre petits récits qui célèbrent ainsi l’écoute et l’empathie, et qui amènent à se découvrir soi-même au contact de l’autre.


Aimée de Jongh, Taxi !, La Boîte à Bulles, Saint Avertin, 2021.

(Interview : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédits : La Boîte à Bulles)