"Hit the Road", sur les routes mafieuses du Nevada
Dobbs et Khaled se prêtent ici main forte pour une virée sanglante dans le Nevada au crépuscule des années soixante. Un polar hard boiled somme toute classique, mais à l’intersection du road movie et du western, où deux destins se croisent pour le pire et pour le meilleur, avec en toile de fond tout l’imaginaire de la contre-culture et de l’Ouest américain.
Règlements de comptes, crimes, jeux d’argent, trafic de drogue, pègre, cadavres à la pelle… bienvenue à Reno, « la plus grande petite ville du monde ». Ou plutôt dans l’univers tentaculaire et sanglant de Dobbs et Khaled. Le duo de scénariste et dessinateur signe sa première collaboration ensemble pour le label Comix Buro publié en collaboration avec Glénat. Hit The road, un titre qui laisse encore entendre au loin le refrain du hit de Ray Charles, se révèle un sympathique polar hard boiled qui convoque les meilleures heures du cinéma américain des années soixante et soixante-dix.
La dédicace discrète de Dobbs en page sommaire ne nous trompe pas. Se dégage dans ce one shot à la gâchette facile, l’âpreté du style de Don Siegel ou encore de Sam Peckinpah mais aussi des frères Coen. Un hommage manifeste à une époque charnière des États-Unis, chargée par la guerre du Vietnam et l’essor de la consommation de masse. Les décors, le suspense, l’ironie cinglante et les répliques à la Dirty Harry nous embarquent dès les premières planches avec des durs à cuire, des pony cars, des harleys et des paysages à couper le souffle de la Sierra Nevada. Si le rythme bat la mesure sur des standards de l’époque (Get Back des Beatles, Pretty Woman de Roy Orbison,Wake up little Suzie d’Everly Brothers), au cœur du récit, un destin croisé, une histoire de vengeance, une rédemption, un chemin trouvé.
« Seuls les intérêts de la famille comptent »
Cette ritournelle a bercé l’enfance de la jeune Vicky la tatouée, contrainte de suivre la lignée et de livrer marijuana, LSD et mallettes de billets verts pour Diana, sa mère, et surtout Granny, sa grand-mère, la matriarche redoutée et redoutable de la mafia locale. Cet héritage familial empoisonné, elle veut s’en affranchir mais elle doit d’abord se rendre dans une « clinique » d’avortement clandestine dans les rues malfamées de Reno, tenue par un toubib véreux. Parallèlement, il y a Clyde Wolfen, tout juste sorti de taule, récupéré par son frangin, Joe, qui détient des informations sur la prochaine livraison. Il veut régler ses comptes avec Granny Redhood. Ses années passées à l’ombre l’ont fait suffisamment ruminer sa revanche pour n’en avoir cure de la toute-puissance de la vieille.
Il est temps de récupérer son pognon, de la refroidir et de tracer la route. C’est dans cette ouverture chorale, ce contexte où les malfrats à la solde de la reine mère clamsent les uns après les autres, et à cet instant-là, sur la table d’opération glauque, que ce big bad wolf va rencontrer Vicky. Ces deux personnalités que tout oppose vont au fil des cases se découvrir et se trouver des affinités inattendues. Hit the Road nous entraîne ainsi à bord d’une mustang noire sur les routes désertiques et poussiéreuses de l'Ouest américain, envahies de crapules de la pire espèce, de serpents et de bêtes sauvages, avec un duo empathique en quête de liberté et d’émancipation.
Cocktail de genres
À la plume ciselée, Olivier Dobremel dit Dobbs livre un scénario référentiel et plutôt classique, condensé sur seulement quarante-huit pages. Certains passages auraient donc gagné à être plus approfondis tandis que certains seconds et troisièmes couteaux à peine ébauchés se révèlent dispensables à l’intrigue. Mais ces scories tendent à s’effacer au profit de ses dialogues méchamment bien écrits. Il faut dire que Dobbs, auteur, scénariste de nombreuses bandes dessinées et conférencier en histoire du cinéma, s’intéresse depuis longtemps à la figure du bad guy, des monstres et autres serials killers, notamment dans la monographie Méchants : Les grandes figures du Mal dans la pop culture. Ses dialogues font mouche et le mélange de genres fonctionne à merveille entre road movie, western, films paranoïaques et même épouvante.
Le graphisme réaliste d’Afif Khaled, derrière Les Chroniques de Centrum ou encore Time Lost, vient consolider toute cette atmosphère dans une reconstitution convaincante de l’Amérique entre deux décennies. Les planches constituées de longues bandes intensifient la dimension cinématographique ; les plans panoramiques sont dignes du CinemaScope avec des cadrages riches, méticuleux et variés. Le superbe travail de Josie de Rosa sur les couleurs et surtout les incroyables effets de lumière (pleines lunes, phares, néons…), amorcés en couverture, vient achever le rendu, contribuant à cette immersion instantanée pour une parenthèse sang pour sang bédéesque.
Dobbs et Khaled, Hit the Road, éditions Comix Buro / Glénat, Paris, 2020.
(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédits photo : Comix Buro / Glénat)