La Mustang, face à face
En janvier dernier, nous vous parlions ici même du livre La Mécanique de la passion de Cornelia Hummel, fruit d’une enquête sur les propriétaires de Ford Mustang en France. Il se trouve qu’un photographe allemand, Marcus Bastel, a réalisé une démarche très similaire, en 2016, aux Etats-Unis. Cornelia Hummel était la mieux placée pour lui poser quelques questions. Rencontre.
Cornelia Hummel – Marcus, tu es un photographe allemand résidant à Londres. Comment est né ce projet qui t’a fait voyager à travers 26 Etats américains à la rencontre de propriétaires de Ford Mustang ?
Marcus Bastel – J’adore parcourir les USA par la route: j’ai fait 15 road-trips, principalement dans le sud-ouest, parfois dans un rayon plus large. A l’occasion des 50 ans de la Mustang, je me suis dit que ce serait une belle aventure de récolter des histoires et des images autour de cette voiture qui a une place unique dans la culture américaine. Au départ, j’espérais faire des portraits de propriétaires dans 50 Etats, d’où le titre du projet, Faces of Mustang. J’ai trouvé le financement par le biais d’une campagne participative et Ford, par le biais de son agence GTB, m’a prêté une Mustang 2015 durant cinq semaines avec laquelle j’ai parcouru 8000 miles. Au final, j’ai des portraits de personnes couvrant 15 Etats.
Que représentait la Mustang pour toi, lorsque tu as initié le projet ?
Il y a des Mustang partout aux USA, elles font partie de l’identité américaine et elles ne sont pas liées à des catégories sociales particulières : on peut en trouver tant dans une ferme que dans une allée, garée entre une Porsche et une Ferrari. C’était ça, la Mustang, pour moi, une voiture qui traversait les couches sociales. Ainsi, les récits récoltés seraient des récits d’un collectif et non celles d’une minorité.
Et ton rapport personnel à la Mustang ?
J’aime conduire mais je ne possède pas de voiture. La Mustang est vraiment une chouette voiture et je suis tombé amoureux de celle que j’ai conduite durant le projet : devoir la quitter a été le moment le plus triste du voyage…
Est-ce que les gens ont été surpris par ton projet ? Je te pose cette question car de mon côté, lorsque j’ai commencé mon livre, personne n’a été surpris, puisque les Mustang sont des voitures assez rares en Europe – ou plutôt étaient rares, jusqu’à ce que Ford recommence à les commercialiser en Europe en 2015. Par contre, aux USA, les Mustang sont des voitures tout-à-fait ordinaires…
Les fans de Mustang sont nombreux aux USA et se regroupent sur des pages dédiées sur les réseaux sociaux. Ces pages m’ont servi de porte d’entrée pour décrire mon projet et chercher des gens pour y participer. Les rencontres ont résulté des messages mis sur ces pages, mais aussi de propriétaires qui m’ont mis en contact avec d’autres propriétaires après la rencontre, ou encore d’initiatives plus directes lorsque je voyais une Mustang garée devant une maison et que je m’arrêtais et frappais à la porte, ou encore lorsque j’ai vu cette Mustang GT Convertible jaune devant un supermarché, avec sa plaque minéralogique TWEETY. J’ai patiemment attendu le retour de TWEETY, et j’ai rencontré Mary Ann.
Les gens que j’ai rencontrés adoraient leurvoiture. Quand John Cummings m’a contacté, il a écrit « Je suis un Special Ranger et j’ai été dans lesforces de l’ordre durant 32 ans. Je porte un chapeau de cowboy, un badge et uncolt 45 pour mon travail, et je conduis une Mustang ». J’ai évidemmentvoulu le rencontrer et il m’a raconté qu’à une époque, lui et sa femme avaientune Corvette et une Mustang ; ils ont emmené les deux voitures à un« Car Show », lui la Corvette et sa femme, la Mustang. La Mustang a gagnéun prix, mais pas la Corvette. Il a vendu la Corvette « parce que je suis uncompétiteur, c’est la nature humaine – surtout chez les hommes, on n’aime pasêtre battu ». Donc pour répondre à ta question, non, les gens n’ont pasété surpris, chacun avait son histoire spécifique, qui disait quelque chose sursa vie, sa personnalité.
Pour les propriétaires européens, la Mustang est rattachée à une certaine image de l’Amérique des Sixties, même pour les propriétaires de modèles récents : les grands paysages et les routes qui les traversent (la Route 66), la liberté, la musique, les films, ainsi que l’histoire automobile américaine. Dans ton livre, les récits autour de la Mustang renvoient plutôt à l’histoire familiale (la Mustang du grand-père, du père) et à la transmission plutôt qu’à une histoire culturelle et industrielle.
Je voulais écouter des histoires personnelles, ce sont ces histoires qui rendent la voiture intéressante. Souvent, lorsqu’était venu le moment de faire les photos, les gens s’éloignaient de la voiture et je leur disais que si c’était juste pour faire des photos de voiture, je n’aurais pas eu besoin de faire tout ce long voyage, j’aurais aussi pu me contenter d’aller dans des parking ou à des car shows. C’est l’histoire de l’objet qui est intéressante, pas l’objet en lui-même : une guitare qui a été jouée par Jimi Hendrix ne porte pas la même histoire qu’exactement la même guitare qui a passé 50 ans à prendre la poussière dans le salon sans être jouée. Ed, par exemple, a acheté sa première Mustang avec son père et elle a traîné chez eux un moment, accompagnée par 400 UDS de pièces détachées. Ils allaient tout revendre puis ont décidé de la transformer en Bullit. Son père est maintenant décédé mais le souvenir des travaux effectués ensemble est toujours ancré dans la voiture. Certaines histoires m’ont presque mis les larmes aux yeux et j’avais presque envie de prendre les gens dans mes bras en partant pour les remercier d’avoir partagé leurs souvenirs si intimes avec moi.
Cela dit, j’avais aussi l’imagerie de laRoute 66 et des road-trips en tête endébutant le projet mais j’ai trouvé peu de gens qui voyageaient avec leurMustang. Ceux qui avaient des envies de voyage les remettaient à plus tard, àl’âge de la retraite. Cela vient peut-être du fait que le travailleur américainmoyen n’a droit qu’à dix jours de vacances par année.
Sur la page internet du projet, tu proposes des extraits audio des récits en complément des photos, ce qui est assez original…
J’ai choisi d’enregistrer les conversations car j’avais des journées très intenses et je savais que sinon je ne m’en souviendrai pas. J’étais seul, je conduisais, je cherchais des participants, je réalisais les interviews, je prenais les photos et à la fin de la journée je tentais de choisir quelques images pour alimenter les comptes Instagram, Facebook et Twitter du projet. J’ai été sur la route durant cinq semaines et j’ai conduit durant 181 heures, donc en moyenne cinq heures par jour. Un jour, j’ai conduit durant huit heures, puis ai fait trois heures d’interview, puis ai cherché un hébergement et le soir mon dîner fut une bouteille de bière pendant que je déchargeais les photos et les enregistrements ! Entendre les gens raconter leur histoire ajoute une dimension, cela les rapproche de la personne qui regarde les portraits photographique, cela rajoute de l’humanité.
Tu as terminé Faces of Mustang en 2016, est-ce que tu poursuis sur la thématique de l’automobile ? Quels ont tes projets actuels ?
J’ai toujours été plus intéressé par les gens que par les voitures : les gens se racontent alors que les voitures ne sont que des objets. Dans Faces of Mustang, la voiture était le dénominateur commun, celui qui a fait que les personnes m’ouvrent leur porte. En ce moment, je travaille sur une entreprise familiale de pompes funèbres à Londres qui en est à sa 7ème génération, un livre est à l’horizon. Avec un ami musicien, je poursuis aussi le projet HOME qui documente la vie des gens dans notre immeuble de 19 étages. Et, dans les gros projets, il y a The People of Canada. Canadian Identities Coast to Coast que je développe depuis une année. On ne sait jamais vraiment ce que les projets nous réservent, en particulier lorsqu’ils se déploient sur des grands espaces géographiques, c’était déjà comme ça pour le projet Mustang : on les met en route, ils prennent leur envol et se mettent à vivre leur propre vie et toi tu vis avec eux. Le projet canadien prendra bientôt son envol, quand j’aurais terminé d’organiser la logistique et le financement, il me fera traverser le Canada et je suis impatient des histoires que je trouverai sur mon chemin.
Pour en savoir plus sur Marcus Bastel et commander son livre, Faces of Mustang, rendez-vous sur son site Internet.
(Interview : Cornelia Hummel, Genève, Suisse / Crédits photo : Marcus Bastel)