12% minimum (5/5) - Ca tourne !

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12% minimum, c’est le feuilleton de l’été de Roaditude. Cinq rendez-vous « en immersion » pour mieux connaître l’équipe de longboadeurs franco-suisse Entre Couzs, qui réunit dix intrépides dont deux filles, entre rêve, passion et danger. Est-ce un sport ? Est-ce un art ?… Chapitre V, nous retrouvons les Couzs dans le Massif des Bauges, entre joyeuses teufs et tournage d’un film.

Quelques fines gouttes d’eau qui tapent gentiment sur les vitres de la vieille Ami 6, et puis plus rien. La pluie s’arrête, le soleil réapparaît, la route sèche. Je resserre les lacets de mes chaussures et fixe la ligne d’horizon. Un petit centimètre apparait, plat entre deux grosses montagnes. J’enfile mon équipement, sangle la protection dorsale, ajuste mon casque et scratche les gants sur les poignets. Une longue inspiration, une toute aussi courte expiration. C’est parti. Je m’élance sur le skateboard. Le goudron présente quelques rugueuses aspérités qui me font l’effet de fourmillement dans les jambes. La planche vibre et tremble sous mes pieds. Tenir ma ligne. Tenir ma trajectoire. Le paysage défile de plus en plus vite. Tout devient flou. Seule la route reste nette. Ses courbes, l’unique chose qui obnubile mes pensées immédiates. Je sens mon cœur battre dans les veines de mes tempes, compressées dans le casque. L’adrénaline se déverse par litres dans le flot sanguin qui parcoure mon corps tendu comme une arbalète. La vitesse. La trajectoire. Rester maitre de son jouet. Ca va vite, l’air siffle autour de moi, mon corps lancé déchirant l’atmosphère. Complainte langoureuse de l’espace vent. Groupé, m’abaissant sur mes appuis, je pose une main au sol. Le crissement du plastique rencontrant l’asphalte fait détaler un renard qui traverse alors la route. Ma main attrape la carre de la planche, je me déporte un peu plus au-dessus de la voie, pousse de mon pied sur l’arrière du skate. La gomme des roues s’arrache sur ce dérapage, tentant vainement d’éviter le goupil apeuré. Je ne ressens plus le contact avec l’enrobée. Me voilà planant dans les airs, traversant la route à Mach 2. J’aurais dû les écouter. Ne pas m’élancer sur cette pente à près de 45 degrés. Pas pour ma première fois en longboard. Me faisant face, un énorme rocher. Planche en main, je ne peux que laisser l’inertie accomplir son ignoble besogne. Je vais m’écraser contre la pierre affamée. Je ne veux pas finir comme ça. Non. Concentre-toi. Pfffffffiiiiooooooooouuuuuufffffffffssssshhhhhhhhhhhh… Je m’élève dans les airs, m’appuyant sur le vent, volant une nouvelle ligne dans la quatrième dimension. La courbe ultime.

Rêve insensé
Une douce main tapote ma joue et secoue mon épaule. Je n’ai ni Ami 6 et je ne me suis toujours pas mis au skate. Ma compagne me tire de ce rêve insensé dans lequel j’étais plongé. Elle recule d’un pas. Mes pupilles lui semblent folles. « Réveille-toi mon Colin, ils arrivent ! ». Dehors, la nuit se déchire dans la colère de l’orage estival. Le ciel est zébré d’éclairs et la voute céleste, surchargée de nuages détrempés, déverse son trop plein liquide avec une violence d’une rare intensité. Malgré tout, les Couzs ont accepté mon invitation à venir skater les routes du Massif des Bauges, et à célébrer la fin d’un été de skate, de voyages et d’excellents résultats. L’audacieuse et facétieuse marque de bière La Kékette nous offre quelques litres pour l’occasion. Quoi de plus pour motiver une jeune bande de skateboarders sans peur ni reproche à faire quelques heures de route. « On arrive ce soir, prépare les bushings. » Ils sont quatre à avoir répondu présent. Marjorie est blessée, Lucas commence son stage de fin d’études à Paris, Lyde a un petit souci de voiture, et Anne se retrouve coincée en famille dans le fin fond de la Suisse romande. Seul Augustin, « The Original Jamon » – présent à chacune de nos entrevues !!! – Gaétan, Yanis et Max « Faya Bob » ont pu venir. Le président de la Fée Des Rations De Ride à Roulettes (l’association de skateboard responsable de tout ce qui se passe dans la région, comme expliqué dans notre épisode 4), Nono, nous rejoindra le lendemain. Lendemain qui s’annonce plutôt beau et chaud. La tempête se déchaine une dernière fois et nous offre son bouquet final avant que ne sonne minuit.

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Après une nuit rythmée par l’entrechoquement des canettes, le ronflement du chien et les pets de Gaétan – qui rêvait peut-être à son tour qu’il trouvait un moyen de mettre un moteur à réaction sur son skateboard, et d’ainsi pouvoir voler et « carver » la quatrième dimension – nous décidons d’aller faire un tour vers le mythique et majestueux Granier. Mais la montagne ayant cédé plusieurs centaines de mètres cube de roches dans un impressionnant éboulement sauvage, a rendu difficile, pour ne pas dire impossible, de nombreuses routes qui étaient alors fameuses dans le milieu du longboard. Celles du Col – ouvrant en grand les portes de la Chartreuse – ne sont tout simplement pas praticables. Gravillonneuses, les rotules de Max en tremblent encore.

Les belles routes de montagne ne manquent pas dans la région, nous nous dirigeons vers le Massif des Bauges et le Col de Plainpalais, coincé entre le Revard et le Margériaz. La route est large, relativement peu fréquentée compte tenu de la date, et est suffisamment dégagée pour que les Couzs n’aient pas à craindre de descendre une portion de route à l’aveuglette, sans pouvoir prévenir de l’arrivée d’une voiture, d’une moto ou d’un cycliste. Le port de VHF et l’ajout d’une voiture ouvreuse permet de signaler tel ou tel véhicule, et ainsi les Couzs de ralentir sur la portion annoncée dangereuse. Les descentes s’enchainent, le soleil glisse doucement derrière les montagnes, offrant de superbes lumières. L’occasion est trop parfaite pour s’en priver. Augustin fixe de grosses ventouses sur le capot du break Dacia, il y installe son reflex. « Ça tient bien, même avec une ventouse décollée rien n’a jamais bougé. » Max pilote la voiture, Gaétan et Yanis descendent devant. Jamon roule derrière. Ils vont vite. Si l’un dépasse l’autre, ils se tendent la main, lancés à plus de soixante-dix km/h, pour rester ensemble, roulant au plus proche l’un de l’autre, se parlant avec quelques signes pour savoir qui prendra l’intérieur sur le prochain virage en épingle. On croirait assister à quelques chorégraphies adrénalinesques. Les images sont impressionnantes. Un couple de vendéens en vacances applaudit et les remercie du spectacle.

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Près de 7000 euros
Lorsqu’ils descendent en route ouverte, les Couzs ne se soucient guère d’avoir la voie libre et pour eux seuls. Quand ils roulent avec une voiture les frôlant à chaque instant pour capturer toute l’intensité de la descente, ils essayent de fermer la route pour quelques minutes. Vu l’heure et le peu de passage, cela nous a semblé être une opération raisonnable. Quelques remarques désobligeantes fusent quand même au travers des vitres teintées. Quand l’on sait que la maréchaussée peut condamner cet outrage à hauteur de près de 7000 euros, nous ne nous attardons pas en bas de la pente et filons vite vers le petit village d’Arith et de ses alpages, où le chalet du soir se trouve. Le chemin qui nous y mène offre une belle descente, sinueuse à souhait et très peu fréquentée menant au village, Augustin, Max et Yanis la dévalent en skate, sourires aux lèvres et prenant cette fois-ci le temps d’apprécier le paysage.

Gaétan, lui, retourne seul sur les lieux précédemment skatés pour y avoir oublié son casque et ses gants, venu voir au col si nous y étions toujours, après avoir passé la journée à attendre des colis qui ne sont jamais arrivé,  le président Nono récupère le casque et les gants d’un jeune étourdi. Les deux nous rejoignent sur le bord de la route, juste avant d’arriver au village.

Une bonne demi-heure de marche plus tard, la nuit s’étant pleinement emparée de l’instant, nous arrivons au chalet. Quelques notes de musique. Augustin et Yanis s’improvisent vite en rappers, lançant des freestyles sur le son hip-hop crachant hors des enceintes. Max s’occupe de la purée de patates douces, Nono des saucisses grillant sur une lauze léchée par les flammes. Gaétan aide ma douce et tendre dans l’élaboration d’un gratin aux courgettes du jardin. Je bénéficie du statut privilégié de photographe et donne les indications concernant l’aboutissement d’une quête sans fin, visant à trouver le sel. Les anecdotes fusent de toute part. Des histoires de roadtrips accompagnées d’un ver solitaire, des souvenirs de festivals, des idées pour les compétitions à venir – Nono arguant d’une certaine façon de faire, un point de vue forcément différent quand on est l’organisateur, conscient des contraintes et de la pression permanente du désir de rouler, des jeunes skateboarders. Et le sujet de revenir aux ébats de l’après-midi. Nous avertissant des risques d’amendes encourus, l’un des Couzs se rappelle de cette fois où Lucas, qui venait tout juste de passer son permis de conduire, voulait prévenir d’un coup de VHF ses collègues, de l’arrivée imminente de la police. Ce faisant, il mit deux coups de volant un peu trop hasardeux, qui attisèrent immédiatement la suspicion de ces bonnes vieilles forces de l’ordre. Lui demandant son permis, Lucas leur confirma qu’il venait bel et bien de le passer, mais qu’il attendait encore son papier. La journée était belle, la compagne d’une nuit passée se prélassait encore dans le souvenir de l’un des policiers, ou peut-être ne voulurent-ils simplement pas se prendre la tête avec un petit jeune qui semblait honnête. Ils laissèrent Lucas repartir.

Les rires fusent, la bière La Kékette est largement appréciée et les anecdotes continuent de pleuvoir. Une autre fois, dans le Sud, un couple de touristes retraités avait appelé les gendarmes pour les mettre en garde devant l’attitude jugée dangereuse des jeunes skateboarders. Arrivés sur place, les gendarmes entamèrent un cordial dialogue avec Augustin. Leur tenant un discours rassurant et empreint d’un grand professionnalisme, Jamon leur parle d’une descente totalement contrôlée et quasi absente d’une quelconque prise de risque. Les gendarmes les laissèrent repartir, tempérant les rouspètements des deux anciens, outrés du laxisme dont faisaient preuve les représentants de la Loi. Cinq minutes plus tard, en voyant débouler à plus de quatre-vingt km/h les joyeux frippons, l’un se mordit la joue jusqu’à en saigner, l’autre enfonça profondément son képi autour de son crâne rasé. « Quand-je-vous-dis-qu’ils-sont-fous-ces-jeunes-!!! ». Les rires éclatent de nouveau, la nuit est somptueuse d’étoiles, Yanis et Max sont fascinés par l’écho des montagnes.

Faire partie de la famille
La route menant à la vallée se souviendra longtemps du passage de Gaétan, de Yanis et de Max le lendemain matin. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que cet asphalte se fait skater. Et ce ne sera pas la dernière, croyez-moi. Nous décidons de retourner vers le Margériaz et son bitume peu fréquenté. L’heure tourne, un autre spot se trouve sur le chemin du retour. L’équipe doit retourner sur Marseille. Faya Bob reprend le travail demain matin. Quelques pierres précieuses attendent docilement d’être serties d’or. Le joaillier n’a pas envie de rentrer. Il se verrait bien rester quelques temps de plus dans la cabane perdue au milieu de la montagne. Tous d’ailleurs. Mais seul Max a un véritable impératif de retour. Augustin a quelques vidéos à faire lui aussi, en plus de préparer son rapport de stage et de bosser sa soutenance. Nono prépare le championnat de France qu’il organise en septembre, le Go Goats, et Yanis y remettra son titre en jeu. Le double champion de France en titre est assez confiant. Pourquoi faire de la compète si ce n’est pas pour gagner, me glisse-t-il en souriant. La concurrence sera rude cette année encore.

Nous nous quittons en embrassade. Je fais maintenant partie de la famille et notre histoire ne s’arrêtera pas au cinquième et dernier épisode de la série estivale du carnet de route de Roaditude. Dans mon esprit encore affolé par les in-descentes des skateboarders, une petite musique celtique se met à raisonner, annonçant mon prochain périple, sur les côtes irlandaises, surf sous le bras. Un autre univers pour d’autres histoires, et toujours l’esprit de balade, plume au bout des doigts.

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Lire les épisodes précédents: Episode 1 – Episode 2 – Episode 3 – Episode 4

(Texte et crédits photo : Colin Hemet, Chambéry, France)