Carte blanche pour l’Europe
La route n’est pas une profession, elle s’offre à tout le monde. Des projets de voyage émergent, ci ou là, toujours différents les uns des autres. Geneviève Rajotte Sauriol et Thierry Archambault-Laliberté sont québécois et professionnels de l’environnement. Le vélo occupe une place importante dans leur vie. Et puis, il y a l’envie de rompre la routine quotidienne. Ce furent 6 500 km à travers l’Europe en 2016 – et l’avenir est plein de promesses. Rencontre.
Roaditude – Geneviève Rajotte Sauriol et Thierry Archambault-Laliberté, pouvez-vous vous présenter pour les lecteurs de notre carnet de route ?
Geneviève Rajotte Sauriol (G) – Nous sommes dans la fin vingtaine et vivons à Montréal. Côté semaine, je suis consultante en communication environnementale. Je m’intéresse particulièrement à ce qui touche la biodiversité, l’agriculture et l’alimentation. Côté week-end, je suis une sportive touche-à-tout : escalade, yoga, course, natation, randonnée et vélo, bien entendu ! Je n’excelle dans rien, mais j’ai besoin de ma dose hebdomadaire d’endorphine et d’air frais.
Thierry Archambault-Laliberté (T) – Je travaille aussi en environnement, plus précisément en gestion des matières résiduelles. J’adore le plein air, peut-être en raison de mon passé scout, et je dois toujours avoir un voyage en cours de planification pour « tolérer » la routine. Après avoir voyagé « sac à dos » en Afrique, en Asie et aux États-Unis, je découvre maintenant les possibilités qu’offre le vélo pour découvrir le monde.
Peut-on dire que vous êtes des passionnés de vélo et, si oui, d’où vous vient cette passion ?
G – Si je vous dis que mon vélo, accroché au mur de ma cuisine, est le plus bel objet de mon appartement et qu’il m’arrive de lui parler, est-ce que je me qualifie comme « passionnée » – ou comme « dérangée » ? J’ai acheté mon premier vélo de route à 20 ans, pour imiter mon père. Le premier été, il m’a mise au défi de faire plus de millage que lui, mais j’ai lamentablement perdu. Puis, j’ai découvert le cyclotourisme et je me suis mise à faire des sorties de 2-3 jours au Québec avec mon équipement de camping. C’est là que je suis vraiment tombée en amour avec le vélo, et que j’ai battu mon père avec une saison de 3 000 km à l’odomètre. Quand j’ai quitté la banlieue pour aller vivre et travailler à Montréal, j’ai délaissé la voiture et commencé à faire tous mes déplacements à deux roues, même l’hiver. Aujourd’hui, le vélo est pour moi un moyen de transport, un sport, un loisir et une manière de voyager. J’ai une bicyclette de tous les jours et un bolide des grandes occasions (celui qui décore le mur de ma cuisine !).
T – Pour ma part, ce serait exagéré de parler de passion. J’ai toujours été un cycliste, mais davantage pour des raisons utilitaires et économiques que par grand intérêt. C’est en rencontrant Geneviève que je me suis acheté un beau vélo Caribou de De Vinci et que les bécanes ont pris une plus grande place. On a fait quelques super trips de vélo au Vermont et dans les Cantons-de-l’Est et l’idée de partir pour une plus longue aventure a commencé à germer dans ma tête. Jusqu’à ce soir de semaine où, revenant épuisé du bureau, j’ai proposé à Geneviève d’aller traverser l’Europe à vélo !
En 2016, vous avez donc fait un grand périple en Europe. Quel en a été l’itinéraire ?
G – Nous sommes partis de Bruxelles, avons traversé les Pays-Bas, l’Allemagne et la République Tchèque. Ensuite, on a triché en traversant l’Autriche en train, puis on a roulé en Italie, en Slovénie et en Croatie. De là, on a pris un vol pour Dublin et on a roulé un mois en Irlande et un mois en France, pour terminer à Paris. En résumé : 6 300 km en 5 mois à travers 10 pays.
T – Le plan d’origine était de traverser l’Europe de la mer du Nord à la mer Noire, en suivant le Danube sur une partie du trajet. On voulait finir notre voyage à Istanbul, mais on a pris quelques décisions radicales en cours de route. Après avoir obliqué vers la Méditerranée, on a quelque peu souffert des 40 degrés Celsius en journée et la Croatie nous a achevés. C’est là qu’on a décidé d’assumer notre caractère plus nordique. Le changement de cap vers l’Irlande a amené son lot de difficultés en termes de température pluvieuse et de relief, mais on ne le regrette pour rien au monde !
Ce voyage n’avait pas que le tourisme pour objectif, n’est-ce pas ?
G – Quand Thierry a proposé ce voyage, nous étions las du train-train quotidien et avions envie de sortir de notre zone de confort, d’aller nous inspirer ailleurs. Six mois plus tard, on démissionnait de nos emplois respectifs, entreposions toutes nos affaires et nous envolions pour Paris avec nos deux bécanes et une petite tente. Nous n’avions jamais fait de cyclotourisme pendant plus de 10 jours auparavant. On a vite réalisé qu’on ne voyage pas à vélo comme on voyage en train et que les distances sont beaucoup plus longues en réalité qu’elles n’y paraissent sur la carte ! Je tenais aussi à ce qu’on soit cohérents avec nos valeurs écologiques, ce qui a surtout été difficile côté production de déchets. Ce périple a été une belle leçon de vie sur la lenteur, le moment présent et la reconnaissance de nos limites.
T – Pour résumer, je crois que ce voyage était non pas une fuite en avant, mais plutôt l’occasion de prendre un vrai recul, de prendre le temps d’oublier le temps, de réfléchir à la place du travail et de la technologie dans nos vies et de revoir ce qui est vraiment important. Nos perspectives ont beaucoup changé depuis le retour !
Quels ont été les temps forts de votre périple ?
T – Je dirais la traversée de l’Irlande à vélo, qui nous a procuré les plus beaux moments de contraste qu’on puisse imaginer. La route était si difficile et si belle que nos pauses face à la mer, nos soirées avec d’autres voyageurs et chaque petite dose de confort nous procuraient un bien-être amplifié.
G – J’ajouterais qu’ironiquement, un des plus beaux moments du voyage est sur la route, mais n’a rien à voir avec le vélo ! Nous avons fait le Tour du Mont-Blanc, une randonnée de 12 jours en autonomie. Je n’avais jamais été autant en contact avec la nature et mon corps. Nous n’avions ni téléphone ni montre : nous nous levions et couchions avec le soleil et mangions quand nous avions faim. Le sentier était notre but, notre routine et notre maison. On a traversé de minuscules villages situés en fond de vallée, uniquement reliés par une route de pierre sinueuse, rencontré des troupeaux de moutons sans berger et mangé le fromage le plus frais de notre vie. On en rêve encore !
Qu’avez-vous pensé des routes européennes ? Sont-elles différentes à rouler que les routes nord-américaines ?
T – Elles sont différentes en raison d’un petit, mais important détail : l’absence d’accotement. En Amérique du Nord, la plupart des routes comportent une bande de sécurité d’au moins un mètre. En Europe, tout spécialement en République Tchèque, en Irlande et en Croatie, les routes secondaires sur lesquelles nous roulions n’avaient pas d’accotement du tout, ce qui nous forçait à rouler tout prêt des voitures. Le fait de contourner un nid-de-poule peut représenter tout un danger si une voiture passe au même moment ! On a fini par cesser de se préoccuper d’être dans le chemin, tant qu’on était visibles, ce qui n’était malheureusement pas le cas en soirée où lorsqu’il y avait du brouillard.
G – À l’inverse, on a expérimenté les routes des Pays-Bas : le paradis du vélo ! La légende dit vrai, il y a des infrastructures cyclables partout dans le plat pays, même en campagne et dans les zones industrielles. Les cyclistes ont la priorité : on se sentait comme des rois. On a aussi pu concocter de beaux itinéraires grâce au réseau fietsnet, un système de balises qui dessert l’ensemble du pays.
Faire un tel voyage, c’est le rêve de beaucoup de gens. Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui a le projet de prendre la route à vélo ?
T – Amenez un minimum de matériel, bien choisi et polyvalent. Il doit être bien à l’abri de la pluie, car l’humidité cause des problèmes et finit par avoir un impact sur la santé et le moral. Je conseillerais aussi de se renseigner un minimum sur les circuits cyclables existants, mais de ne pas en faire une maladie. Nous avions intitulé notre voyage « carte blanche » pour avoir en tête que nous pouvions changer l’itinéraire à tout moment. La route ne se présente pas toujours telle qu’on s’y attend ! Sur une carte, tout a l’air si simple…
G – J’ajouterais qu’il faut bien connaitre sa bicyclette avant de partir. Le vélo est pour moi le moyen idéal de voyager… Tant qu’il roule bien ! Nous ne sommes pas des mécanos hors pairs, mais nous nous étions assurés d’avoir les connaissances et les outils nécessaires pour entretenir nos montures. Partez aussi avec des pneus neufs et gonflez-les tous les jours ! Petit conseil de la part de voyageurs qui ont eu une seule crevaison en plus de 6000 km.
Y a-t-il une route qui vous a marquée plus que les autres ?
G – La Wild Atlantic Way, la route touristique qui longe toute la côte ouest de l’Irlande, est mémorable. Et pas seulement parce qu’on y roule à gauche ! Petite mise en garde : cette route à double sens a tout juste la largeur d’un autobus et le relief est éreintant. Mais les points de vue à couper le souffle sur l’océan Atlantique, les falaises et les montagnes parcellées de mouton en valent l’effort. Parlant d’effort, un moment mémorable a été la traversée de la Connor Pass, dans la péninsule de Dingle. Des Français nous avaient mis en garde contre ce défi physique : une montée de 7% sur 5 km. J’avais hâte de mettre mes jambes à l’épreuve ! La mise en scène était parfaite : un brouillard typiquement irlandais et des affiches effrayantes qui disaient aux autobus de faire demi-tour parce que la route, à flan de falaise, est trop étroite. J’écoutais du Sigur Ros pour l’occasion, ce qui conférait au tableau une atmosphère surréelle. Après une heure à nous concentrer sur les coups de pédale et le vide à notre droite, on a atteint le haut du col dans en pluie glaciale. Après avoir crié victoire, on avait (presque) envie de recommencer !
D’autres projets de voyage ces prochains mois ?
G – Nous allons probablement inaugurer la saison du cyclotourisme avec une virée au Vermont en traversant les iles du Lac Champlain. Je prépare aussi une semaine solo au Québec. Je me suis donnée comme objectif de rouler dans toutes les régions de ma belle province au cours de ma vie.
T – Un autre projet plus grandiose s’immisce dans nos têtes : partir à la conquête de la côte Ouest du Canada jusqu’à celle du Mexique, histoire de respirer un peu de l’air frais du Pacifique !
(Interview : Laurent Pittet / Crédits photo : Geneviève Rajotte Sauriol et Thierry Archambault-Laliberté)