« Ces jeunes sont prêts à tout pour continuer à rouler »
Né au Etats-Unis, le « Dirty Riderz Crew » est un mouvement informel de jeunes passionnés de motocross et d’acrobatie en milieu urbain. On trouve quelques-unes de ses hordes vrombissantes en France, notamment dans les banlieues proches de la capitale. Une jeune réalisatrice prometteuse en a fait son sujet d’étude, avec, en ligne de mire, la réalisation d’un long métrage. Rencontre avec Lola Quivoron, repérée au dernier Festival du film de Locarno, dont l’exigence du travail et l’acuité du regard sont déconcertantes, et pleine de promesses.
Roaditude – Lola Quivoron, vous êtes une jeune réalisatrice et photographe, prometteuse mais pas encore forcément connue. Pouvez-vous vous présenter ?
Lola Quivoron – Je suis née à Paris et j’ai grandi en banlieue, en Seine-Saint-Denis (93). Je viens d’avoir 27 ans et je termine cette année mon cursus en réalisation à la Fémis. La photographie est entièrement liée à la fabrication de mes films. Plus qu’un simple support, ce travail constitue très souvent la genèse des histoires que je raconte.
En effet, chaque projet que j’ai réalisé à l’intérieur de l’école se trouve intimement lié à un désir d’ouverture. Le travail d’investigation documentaire constitue une part essentielle lorsque je réalise un film. Il est très important pour moi de me confronter et de me lier à la réalité d’un milieu en particulier. Les rencontres et les repérages donnent d’abord naissance à un travail photographique à part entière qui vient dans un second temps nourrir l’écriture. C’est à partir de cette matière précieuse que je commence à penser et à fabriquer le film en devenir.
Les photographies que je prends des gens que je rencontre ou des espaces que je fréquente me permettent de créer un premier lien de confiance et d’affiner mon point de vue sur l’univers, sur les personnages. Une fois le film terminé, mes photographies prennent ainsi leur propre autonomie.
Quelles sont vos influences en matière d’images ?
Mon travail photographique n’est pas forcément influencé par des images. Je crois que ce sont plutôt les gens que je rencontre, les lieux que je découvre, mais aussi le désir de faire un film qui motivent et influencent mon regard. Mais parfois, il m’arrive de penser à certaines photographies. Non pas à l’image en tant que telle, mais à la première émotion ressentie au contact de celle-ci. Je repense aux sensations de brutalité, de violence ou de sidération des photographies de Wayne F. Miller, de Diane Arbus, Yann Morvan, Hervé Guibert, Mary Ellen Mark… J’aime beaucoup la puissance de vérité et la force d’incarnation de ces photographies.
Vous réalisez un travail photographique sur le « Dirty Riderz Crew »… Il s’agit d’une sorte de mouvement, en quoi consiste-t-il ?
Le Dirty Riderz crew est une communauté de jeunes riders qui se sont réunis parce qu’ils avaient la passion pour la moto-cross. La « bike life », « dirt bike », ou en français « cross-bitume » est effectivement un mouvement urbain né aux Etats-Unis, au sein des banlieues déshéritées de Baltimore, Philadelphie, Détroit, Miami, Los Angeles… Depuis les années 90, des centaines de jeunes se réunissent pour rouler dans les rues des villes, en cortège, roue avant dressée vers le ciel. Cette horde, on la retrouve en France, plus particulièrement en région parisienne. C’est un mouvement urbain très populaire en Seine-Saint-Denis (93), dans le Val-de-Marne (94), dans les Hauts-Seine (91), dans le Val-d’Oise (95). Ce mouvement consiste à rouler en cortège dans les rues des villes, machines dressées à la verticale. Le mouvement est d’abord motivé par le plaisir de rouler ensemble, de faire crier le moteur, d’exécuter des acrobaties en jouant avec les lois gravitationnelles. C’est une parade urbaine, mais aussi un sport extrême. Cependant, la pratique reste illégale et très mal vue par les autorités. Les forces de l’ordre déploient de plus en plus de moyens pour interpeler des pilotes, confisquer des motos, et ainsi rompre le mouvement. Mais ce qui est beau et puissant, c’est que ces jeunes résistent. Ils sont prêts à tout pour continuer à rouler et à faire respecter leur pratique. Ils sont animés par leur passion et c’est ce qui les fait tenir. Ils ont créé leur propre site-web, fabriquent leur propre T-shirt à l’effigie du clan. Ils se filment, montent les vidéos eux-mêmes, diffusent les images sur les réseaux sociaux. Leur comptes Instagram sont suivis par des milliers de jeunes à travers le monde.
Le Dirty Riderz Crew se réunit tous les week-ends pour s’entrainer aux acrobaties. Ils errent de routes en routes parce qu’ils finissent toujours par se faire chasser par les habitants ou la police. Leur rêve est de pouvoir un jour obtenir une route bitumée qu’ils pourraient s’approprier librement. Mais ils rêvent aussi que leur passion soit reconnue comme un vrai sport extrême.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce mouvement, et quelle a été l’origine de votre projet ?
La première fois que je suis allée à la rencontre de ces jeunes riders, c’était sur une route bitumée perdue au milieu des champs de la Seine-et-Marne. Nous étions partis de leur QG, un garage situé à Choisy-Le-Roi. J’étais ensuite montée dans leur camion, avec toutes les machines.
J’ai d’abord été fascinée par l’envolée spectaculaire de la parade. Les acrobaties sont impressionnantes. Le son des moteurs est aussi très particulier, bourdonnant et agressif. J’ai aussi très vite été happée par l’ambiance joyeuse de la pratique. Il y a comme une joie électrique qui est diffusée par le plaisir de rider. On sent que rouler en roue-avant est un véritable plaisir mais aussi un exutoire. Sur le bas côté de la route, il y a les spectateurs. Ils fument la chicha, partagent une grillade, se prêtent les bécanes et s’échangent des pièces. L’ambiance familiale et détendue rompt avec une certaine idée que les gens se font des jeunes de banlieues.
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Cette pratique extrême et illégale constitue un véritable moyen d’expression. C’est un cri de révolte d’une jeunesse qui ne veut surtout pas être oubliée, ou être mise au ban de la société. Ce n’est pas un hasard si cette pratique s’est répandue dans toutes les cités de nos banlieues. Il y a, chez ces jeunes, comme un besoin de se réaliser, de se montrer. Ils roulent, roue avant braquée vers le ciel, sur le fil du rasoir, frôlent la mort pour se sentir plus vivant. Ce mouvement peut faire penser aux regroupement des motards, et aux runs sauvages des années 70 que l’on pouvait observer à Rungis.
En découvrant cette communauté de jeunes motards, je replonge aussi dans la banlieue grisée de mon enfance : bétonnée, jeune et révoltée.
Quel est son aboutissement – vous travaillez sur un film, c’est cela ?
J’ai passé un an à fréquenter cette communauté de riders et j’ai réalisé cette année, pour mon travail de fin d’étude, un film que j’ai écrit pour eux. Il s’intitule Au loin, Baltimore. C’est l’histoire d’Akro, jeune passionné de moto-cross, qui se libère des murailles de sa cité, en fonçant à travers les rues, roue-avant braquée vers le ciel.
La rencontre avec Akro a aussi inspiré mon premier scénario de long-métrage que je suis en train d’écrire. C’est l’histoire d’une jeune adolescente qui enquête sur la mort de son frère, tué dans un accident de moto.
Parlez-nous de la route. Est-ce un thème qui vous inspire ?
La route est un thème inspirant dans le sens où il touche à de nombreuses dimensions plastiques et philosophiques. C’est un aussi thème qui ouvrent à de nombreux fantasmes : la genèse, les paysage fixes ou défilants, le voyage, la sensation de liberté, la vitesse, la sensualité… Mais pour moi, la notion de route est intimement liée au désir de découverte. Je pense que c’est un grand thème fondateur, parce qu’il est à l’origine de notre civilisation, de ce que nous sommes : des êtres humains à la recherche d’un sens, d’une direction, d’un but… Pour moi, la route est au fondement de notre rapport au monde. Mais ce qui est intéressant, ce sont les déviations, les raccourcis, les chemins de traverses, les accidents… Je crois que je suis fascinée par les accidents de la route depuis toute petite.
Y a-t-il quelque part une route que vous aimez, qui a une signification particulière pour vous ?
Il y a une route de mon enfance… Celle de Belle-Ile-en-mer, une île située au large du Morbihan (56). C’est une route terreuse, sans revêtement, le long de laquelle je faisais du vélo. C’est la route de l’apprentissage mais aussi la route des vacances. On faisait du camping sauvage dans un des champs. Je m’en rappelle aussi parce que mon père me faisait souvent tenir le volant de la voiture jusqu’au campement. La nuit, on pouvait voir des lapins traverser, et des chouettes aveuglées, voler contre les phares de la voiture. J’aimais aussi cette route parce qu’elle menait directement à la mer.
A voir, le site Internet du Dirty Riderz Crew www.dirtyriderzcrew.com.
(Interview : Laurent Pittet / Crédits photo : Lola Quivoron)