Carnet de la N7 (3/5) - De Lapalisse à Valence

« 2000 ans d’histoire, 30 ans de légende » a l’habitude de dire Thierry Dubois, organisateur du rallye 100 Autos sur la Nationale 7. À bord de « Pamela », une Coccinelle ’66, l’équipage de Roaditude vous raconte ce périple de 6 jours sur la Route Bleue, de Paris à Menton.

Une étape qui a fait le plein d’émotions… Entre Lapalisse et Valence, des soupirs de la Loire au chant des cigales, la deuxième journée concoctée par les organisateurs du rallye « 100 Autos » a contribué à faire sortir l’authentique Nationale 7 de l’ombre, au propre comme au figuré.

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Make the road great again – Patricia, Bob et leurs filles Caroline et Katie sont en vacances en France. Ils ont débarqué de leur Pennsylvanie verdoyante pour découvrir le pays par la route. L’idée, séduisante sur le papier, l’est d’autant plus sur cette Nationale 7 porteuse de tant d’histoires. Et elle ne pouvait qu’attirer notre attention, d’autant plus que cette petite famille se montre affable et enthousiaste à décrire les surprises que leurs réserve la Route Bleue. Katie est intarissable sur les ronds points, ces ovnis échoués sur le bitume et sur lesquelles les voitures « glissent comme sur une attraction de foire » selon ses propres mots. « J’ai eu très peur. Nous ne sommes pas habituées à ces dispositifs, nous qui avons coutume de conduire sur de larges avenues, traverser des vastes carrefours ». Toute personne qui a expérimenté l’avant et après rond point des routes de France acquiescera avec un sourire entendu : le rond point, c’est comme l’huile de truffe. Quand ça devient systématique, c’est suspect. Caroline, pour sa part, s’étonne du peu de monde qui emprunte cette fameuse route des vacances dont on lui a tant parlé. Nous parlons alors d’autoroutes, de déclassement… De la Highway 66 qui, dans le Sud-Ouest des États-Unis, a connu peu ou prou le même sort et la même désertification que la N7. « Ici ou là-bas, les gens finiront par revenir, car vider les villages et les villes de leur âme, ça invite les jeunes générations à les réinvestir. C’est un cycle », affirment pour leur part Bob et Patricia qui sont ravis de pouvoir expérimenter cette bande de bitume qui sillonne et irrigue le pays de souvenirs et de visions magiques.

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Tracés oubliés – C’est vrai que le programme du jour était visuellement copieux. De Lapalisse à Lyon, nous avons eu droit à une visite privilégiée de tronçons oubliés de la Nationale 7. Entre Fourneaux et La Mule, hameau de la commune de Machézal (toujours dans cette Loire qui décidément ne veut pas nous lâcher, et nous non plus), il a été question de souvenirs, d’émotions, d’épiphanies. Arpenter les virages délaissés depuis le milieu des années 70, c’est un peu comme découvrir le trésor d’un galion espagnol. Cette route défoncée, rapiécées à la hâte, garnie d’arbres luxuriants, bordés de vallons à la vue époustouflante, a vu défiler des voitures dépêchées vers le théâtre des vacances avec hâte, fatigue, attentes, langueurs, excitation, impatience… Sans vouloir verser dans l’ésotérisme de comptoir, ça se sent à chaque kilomètre. Aujourd’hui déclassé par la nouvelle N7 ou l’autoroute, cette portion laisse apparaître là aussi des publicités murales inespérément conservées. Alors que nous nous arrêtons pour prendre un de ces vestiges en photo, Marius, habitant du hameau de La Mule, nous raconte en riant le passage de Napoléon III et de l’impératrice sur la route en contrebas, au milieu du 19e siècle, quand « le chariot a versé ». Et il désigne de son doigt, au loin, le tracé de l’impériale équipée le long des crêtes arborées. Il se se rappelle aussi les nombreux accidents survenus sur ce tronçon désormais largement silencieux. Mais éloquent pour qui sait écouter, imaginer, se transporter.

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De père en fils – Un des grands plaisirs de la route, c’est évidemment les rencontres et les récits qui s’y dessinent en creux… L’histoire de Jean-Claude et de ses fils Guillaume et Esteban est de l’ordre de la transmission. Leur Peugeot 403 de ’64 est de ce qu’il n’est pas inopportun d’appeler « un bijou de famille ». Propriété du père de Jean-Claude, celui-ci en a hérité durant ses jeunes années, les seventies bariolées et psychédéliques que cet alors étudiant vétérinaire a littéralement apposées sur la carrosserie de la 403. Photo à l’appui, nous y voyons des étoiles filantes et le portrait d’Eddy Merckx, autre grand mangeur de bitume devant l’éternel. Confinée dans le garage paternel ensuite, elle a été exhumée par les fistons il y a une dizaine d’années, retapée entre hommes. C’est désormais en équipée filiale et transgénérationnelle qu’ils donnent une toute nouvelle dimension à l’expérience du lignage et de l’héritage.

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Le pot belge – Au premier soir de l’épopée, la vision de leur DS Break de ‘66 mordorée, sur la ligne d’horizon de la N7 au couchant, à Montargis, avait capturé à nos yeux l’essence même de l’événement. Entre L’Arbresle, village étape du jour, et Lyon, Laurent et Christian font un bout de chemin avec nous. Arrêt pour le plein de LPG, embouteillages sous un soleil de plomb… L’astre a joué toute cet après-midi avec nous au jeu du marteau et de l’enclume, mais il n’a pas empêché le charme d’être au rendez-vous. Après cette longue et chaude étape, le rendez-vous final au Parc Jouvet, à Valence, avait des airs d’Oasis.

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Relais 500 – Nous vous avons parlé hier du Relais des 200 Bornes. Aujourd’hui, nous sommes passés au Relais 500, qui se situe exactement à la moitié de la N7, à mi-distance des presque 1000 kilomètres qui séparent Paris de Menton.

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VW Karman – Jean-Remy est venu en voisin, ou presque, assister à l’arrivée de la caravane distendue des 100 Autos à Valence. Il vient de Tain l’Ermitage, et le titre de régional de l’étape lui revient de droit. Il a tenu à apporter sa note singulière au trombinoscope de véhicules d’époque qui peuplent le parc Jouvet. Sa VW Karman ’73 est un modèle dessiné pour concurrencer la Porsche, mais qui n’a pas connu la même destinée que son ainée allemande. Elle a pourtant de l’allure, avec son bleu métallique d’origine et sa coupe sportive toute en voluptés. Jean-Remy est passionné de VW, il en a compté plus de 40 qui sont passées sous ses mains : Coccinelles, Combi’s, Transporter… Et ce petit bijou.

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Thierry, archéologie des émotions – « La culture de la N7, elle vient probablement davantage du Sud de Lyon… » nous dit, en substance, Thierry Dubois au moment de quitter l’Arbresle pour la capitale du Rhône. Nous l’avons vécu, nous qui avons traversé certaines bourgades accueillies et acclamés comme des héros du Tour de France. L’engouement était contagieux, une communion aussi passagère qu’intense. La N7 fait décidément partie du système sanguin de l’Est de la France. En évoquant avec Thierry l’émotion survenue à la découverte des portions oubliées de la N7, les accidents nombreux, la fragilité du voyageur, lui, la mémoire vivante, nous rapporte les témoignages de riverains de la Route Bleu qu’il a rencontrés au cours de ses nombreuses pérégrinations…  Les villageois qui accourent auprès des accidentés, ceux qui se ruent vers le premier téléphone venu pour appeler la gendarmerie… « Aujourd’hui, nous sommes plus que jamais accrochés à la vie et la sécurité. Mais il faut bien se rendre compte qu’au sortir de la Première ou de la Seconde Guerre mondiale, qui avaient arraché des milliers et des milliers de jeunes à la vie et à leurs campagnes, la mort avait une toute autre portée. »

Chaque histoire rapportée par celui qui décida un jour de nourrir la mémoire de cette route qu’il a vue se transformer et disparaître partiellement au tournant des années 80 et 90, est empreinte de la vibration de ceux qui l’ont vécue dans leurs tripes. « Lorsque j’ai vu des restaurant devenir inaccessibles, des tronçons êtres avalés, je me suis dit qu’il fallait raconter cette histoire, qu’il ne fallait pas qu’elle tombe dans l’oubli ». Mais de quelle histoire parle-t-on ? Oui, les vestiges urbains, la culture, la gastronomie… Mais aussi cet indicible, cette émotion qui a parcouru tant de générations portées sur « la 7 » des heures et des jours durant, transformant le bitume et la voiture en lieu de vie, d’expériences et d’imaginaire… Cette « archéologie de l’émotion », puisqu’il convient de lui donner un nom, Thierry Dubois en a écrit les premières pages d’un manifeste que nous lisons minute par minute, tournant après tournant.


Lire les épisodes précédents : Episode 1 – Episode 2  – Episode 4 – Episode 5

(Texte : Nicolas Bogaerts, Bruxelles, Belgique / Crédit photo : Marc Charmey)