"Renault 12", un voyage tragi-comique sur le chemin du deuil

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Dramaturge, comédien et metteur en scène, Mohamed El Khatib nous livre, avec ce documentaire réalisé avant et après la mort de sa mère, une réflexion sur le deuil en forme de mini-odyssée au volant d’une Renault 12, de la France à la vallée du Rif, au Maroc. Léger mais dénué de complaisance, ce poème cinématographique est aussi l’occasion d’un bel hommage de la part du réalisateur aux membres de sa famille – ainsi qu’à un modèle de voiture dont le succès et la popularité semblent être inégalés. A voir mercredi 15 juillet sur Arte.

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La mère de Mohamed meurt à l’hôpital. On va l’enterrer au pays, à Tanger. L’oncle de Mohamed, Mustapha, l’enjoint par téléphone de venir prendre possession de l’héritage que lui a laissé sa mère. Il doit cependant se rendre au Maroc en voiture, au volant de la vieille Renault 12 familiale. L’oncle insiste sur ce point.

C’est sur ces prémisses un peu mystérieuses que démarre le documentaire. L’importance de la figure maternelle dans l’œuvre autant que dans la vie du réalisateur est évidente : Mohamed El Khatib avait en effet déjà abordé le sujet du deuil de sa maman dans une pièce de théâtre, Finir en Beauté (2015), ainsi qu’à l’occasion d’une installation immersive intitulée Renault 12 (collectif Zirlib, 2015), et qui préfigurait le film dont il est sujet ici.

L’impact de la mort

Alternant conversations avec sa mère hospitalisée, témoignages (parfois acerbes) de ses proches et introspection, le réalisateur nous décrit l’impact de la mort de sa maman sur lui-même et sur sa famille, ainsi que le processus de deuil qui s’en est ensuivi – et que Mohamed El Khatib reconnaît avoir eu de la peine à mettre en route (comme sa Renault 12, d’ailleurs).

Le film est parcouru de part en part par une vision détachée et tragicomique de la vie : les épisodes les plus douloureux (l’enterrement de la mère, la confrontation avec une de ses sœurs, la déception du père qui voyait son fils en notable, et certainement pas en homme de théâtre) sont invariablement l’occasion de franches rigolades pour le spectateur. Pendant les funérailles, l’orchestre joue faux, l’imam écrit des textos en récitant le Coran. Bref, le documentaire est tout sauf triste (contrairement au fabuleux Ne croyez surtout pas que je hurle de Frank Beauvais, qui traite du même sujet… Mais c’est une autre histoire).

Cependant, aucune complaisance chez Mohamed El Khatib, qui est parfaitement conscient de son obsession maternelle. Il laisse les coudées franches à ses critiques avec un stoïcisme – voire un amusement – qui forcent le respect : sa sœur l’engueule et lui demande d’arrêter de « faire carrière sur le dos de la mort de sa mère », un producteur lui balance qu’il doit arrêter de saouler son monde avec le sujet.

Renault 12, la force d’un mythe 

Personnage à part entière du documentaire, la voiture en question soulève l’admiration des passants et des garagistes, attire les sympathies, offre sur un plateau l’occasion d’engager la conversation. Ce véhicule solide, increvable même, est visiblement l’objet d’un culte, autant chez les français que chez les marocains du Rif. On découvre avec délectation les réactions joviales et admiratives des gens le long du trajet. Un marocain explique même comment faire rouler la Renault 12, via deux-trois opérations simplissimes, à… l’hydrogène !

L’arrivée au pays, la beauté saisissante des paysages du Rif et la douceur des retrouvailles familiales, en particulier celles avec les femmes de la famille, dignes et affectueuses, sont un peu assombries par la découverte de l’héritage en question, mais n’entament en rien l’humour du réalisateur. C’est l’occasion pour lui de nous offrir un survol édifiant autant que burlesque de l’économie parallèle riftaine…

Malgré un montage parfois déroutant, qui a tendance à effacer toute chronologie, la vision de ce documentaire reste une expérience plaisante et optimiste, un véritable baume au cœur, sans jamais toutefois sombrer dans la miévrerie ni le bon sentiment – et on est vite conquis par la sincérité de la démarche et l’humour de Mohamed El Khatib.


Renault 12, un documentaire de Mohamed El Khatib (France, 2018). Diffusion sur ARTE le mercredi 15 juillet 2020 à 23h30.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : Films d’Ici)