Il était une fois des cars

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Ce récit de cent ans de voyages en car au Maroc nous livre une plongée dans l’histoire et la géographie du pays. En suivant l’évolution des transports en car depuis les années 1920 jusqu’à nos jours, les visages du Maroc se lèvent au fil d’un conte des Mille et une nuits dont les personnages-clés sont les cars de la CTM — la Compagnie de transport et de tourisme fondée en 1919 —, les routes de sable, de terre battue, d’asphalte, les autoroutes ensuite, les chauffeurs, les voyageurs nationaux ou les touristes et les paysages.

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Sous la forme d’un carnet de voyage richement illustré de photos, de cartes postales anciennes, de dessins, Marie-Pascale Rauzier évoque le récit de la vie quotidienne d’un chauffeur de car qui confronte son expérience de la route à celles vécues par son père et son grand-père, chauffeurs comme lui. En marge de la voix du chauffeur, résonne celle d’une voyageuse Meryem. L’architecture du livre se découpe en saisons, les cycles saisonniers permettant de questionner les changements des paysages, des couleurs du désert, des activités des habitants.

Mutations historiques

Les trois générations de chauffeurs sont les témoins de mutations historiques — indépendance du Maroc, Marche verte afin de libérer le territoire du Sahara de l’occupation espagnole… —, de modifications environnementales, urbanistiques — exploitation des minerais sous le protectorat français, développement de routes bitumées, d’infrastructures, de résidences, de complexes pour touristes, saccage écologique… —, mais aussi de l’évolution des mentalités.  

Au fil des décennies, les caravanes, les chameaux ont fait place peu à peu aux cars, Pullmann et autres, de la CTM, les risques épiques du voyage à des excursions de moins en moins aventureuses. Les tempêtes de sable qui fouettent les autocars, les chutes de neige dans le Rif ou l’Atlas, au col du Tichka, qui immobilisent les passagers, les pistes étroites où les véhicules s’embourbent lors des crues des oueds, les troupeaux de vaches qui surgissent sur la route… Empreint de nostalgie, le récit fait la part belle aux souvenirs d’une époque révolue.   

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Les routes, leur évolution, sont un marqueur des mutations socio-économiques d’un pays à une époque où l’on croyait encore, de moins en moins, au mythe du progrès, de la croissance. Au travers du battement entre Maroc d’hier et Maroc d’aujourd’hui, Marie-Pascale Rauzier pointe les continuités et les ruptures, les innovations (qui ne sont parfois que la perpétuation de l’ancien sous une nouvelle guise) et les invariants (géographiques, anthropologiques, sociologiques, religieux…). 

Les cars qui empruntent la route le long de l’Atlantique caracolent de Tanger à Larache, de Rabat à Casablanca, de Safi à Essaouira ou Agadir. Vers l’intérieur du pays, ils sillonnent les routes de Fedhala à Settat, Marrakech, Tamlet ou Demnat, Telouet, Ouarzazate, remontent vers Kenifra, Azrou, Sefrou, Fès, bifurquent vers l’est, en direction de Taza, Taourirt, Oujda, Mellila.  

Royaume de signes

Le « Il était une fois » des contes rythme l’ouvrage — il était une fois le retour d’exil du roi Mohammed V en 1955, il était une fois le marché aux chameaux à Tindouf en 1950, il était une fois le marathon des sables… Au travers d’anecdotes, de tranches de vécus, de hauts moments historiques, le Maroc révèle son royaume de signes, son relief, sa faune, ses habitudes culinaires, ses langues ­­— des langues berbères de la région du Souss à l’arabe dialectal, le dajira.

La splendeur des déserts de sable ou de pierres du Sahara, d’Agafay, des dunes hypnotiques tantôt ocre, tantôt rose, de la mer Méditerranée, de l’océan Atlantique, des montagnes du Rif, de l’Atlas, de l’Anti-Atlas, du Haut Atlas, la variété des paysages (vallées fertiles, plaines arides, palmeraies, oasis, lagunes), des altitudes, des écosystèmes, de la végétation, de la faune, les levers et couchers de soleil, les vestiges archéologique, le cœur historique des vieilles villes, des médinas, les fêtes délivrent un parfum d’éternité qui témoigne de la persistance d’un noyau intemporel au sein d’une époque qui fait de l’agitation sa devise.


Marie-Pascale Rauzier, 100 ans sur les routes du Maroc, éditions Langages du Sud, Casablanca, 2020.

(Texte : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédit photo : éditions Langages du Sud et autres)