Routes américaines : la Carretera Austral, route revêche de Patagonie

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Aux abords de la Carretera Austral (qui signifie, littéralement, « route australe »), un panneau jaune réfléchissant indique la présence possible, mais rarissime, de huemules, les cervidés les plus méridionaux au monde. Et de temps à autre, un autre panneau indique un village ou une petite ville, à peine plus commun. La présence d’êtres humains dans cette Patagonie chilienne mérite d’être soulignée.

Deux rarissimes huemules

Deux rarissimes huemules

La Carretera Austral relie les 150 000 habitants du sud de la Région des Lacs (Xe région) et de la Régin Aisén (XIe région) au nord du pays, pour ne pas dire à la civilisation. Cet éloignement est dû à la géographie particulière du Chili : les Argentins se plaisent à demander à leurs voisins ce que cela fait de vivre dans un couloir. Le Chili n’est pas un couloir mais… Il fait 4270 kilomètres en longueur, et un maximum de 445 kilomètres en largeur (le minimum étant de 90 kilomètres !). C’est un défi de taille que de relier, par la Route Arica, la ville la plus au nord du pays, et Puerto Williams, à la fine pointe du continent. Même en 2016, ce n’est pas encore possible : la Carretera (la Ruta 7 chilienne) termine à Villa O’Higgins, et si l’on souhaite se rendre au bout du monde, il faut obligatoirement emprunter la Ruta 40 argentine.

Chili, Région X, Route 7, Kilomètre 100

Chili, Région X, Route 7, Kilomètre 100

Un peu mégalo
C’est nul autre qu’Augusto Pinochet, en 1976, qui donne l’impulsion de ce vaste chantier routier aux allures irréalisables qu’est la Carretera. Soyons honnêtes : il faut être un peu mégalo pour vouloir construire 1240 kilomètres de route à travers un territoire traversé par des rivières cristallines (mais puissantes), des forêts luxuriantes (mais ô combien denses), quelque part entre un littoral bordé de fjords et des montagnes infranchissables. Dans les faits, ce côté revêche rend la Carretera si particulière : au-delà de sa chaussée en gravier qui provoque des nuages de poussière au moindre véhicule, c’est la nature sauvage et vierge. Les nalcas, ces fougères hors de proportion, bordent le tracé et délimitent le connu du reste. Pendant des miles et des miles.

La route est l’une des seules traces humaines que l’on aperçoit; les barrages hydroélectriques et les nombreuses mines sont cachées dans l’immensité. Seule la présence des ouvriers (une bénédiction pour les autostoppeurs) trahit la proximité d’une activité économique, quelconque.

Mais revenons à Pinochet. La construction d’une liaison entre la capitale et les colons gauchos d’Aysén n’a finalement que peu à voir avec le souci de les relier à la modernité. C’est une décision stratégique avant tout : il faut assurer la souveraineté du Chili en Patagonie, et en grande pompe. La géopolitique est à l’œuvre. L’Argentine n’hésite pas à faire de même, de son côté, en fondant le village d’El Chaltén au pied du Fitzroy, en 1985.

500 tonnes d’explosif
Le dictateur-président mobilise plus de 10 000 soldats du corps militaire du « travail » qui s’acharneront à percer à travers la forêt une route d’environ 4,5 m de large, à l’aide de 500 tonnes d’explosif. Bien que la Carretera ait officiellement ouvert ses voies au trafic en 1988, les explosions de dynamite, même en 2016, continuent à retentir dans les montagnes en raison de travaux d’asphaltage. On conseille un 4×4, et beaucoup de patience.

En attendant, on est tentés de réduire sa vitesse autant à cause des paysages que des mauvaises conditions de la chaussée. Il y a le Cerro Castillo, la montagne-forteresse aux sommets effilés. Il y a la forêt siempreverde (toujours verte), un écosystème unique au monde, et quand on s’aventure un peu dans le parc national de Quelat qui la protège, le Ventisquero colgante, un glacier suspendu à une moraine qui donne lieu à une combinaison jungle-glace étonnante. Le lac General Carrera, une immensité turquoise que la Carrera longe en suivant les aléas de la rive et qui cache les Chapelles de Marbre. À trois reprises, on doit prendre un traversier et admirer la vue de loin.

A l’entrée du parc national de Quelat

A l’entrée du parc national de Quelat

Le Cerro Castillo, la montagne-forteresse aux sommets effilés

Le Cerro Castillo, la montagne-forteresse aux sommets effilés

Les Chapelles de Marbre du lac General Carrera

Les Chapelles de Marbre du lac General Carrera

Et puis tout au bout, une merveille de la nature que l’ingénierie n’a pas pu apprivoiser, les Campos de Hielo Sur, les champs de glace… Ce sont eux qui marquent la fin de la Carretera Austral, un terminus involontaire et provisoire. En effet, le gouvernement chilien a annoncé sa volonté de prolonger cette route incomparable jusqu’à l’extrême sud du pays. On en reparle donc en 2040, date à laquelle doit être terminée la construction de ces 920 nouveaux kilomètres.


Voir l’itinéraire de la Carretera Austral sur Google Maps
Retrouvez la chronique précédente sur le Highway of Tears

(Texte : Nora T. Lamontagne, Québec, Canada / Crédits photo : Wikipedia, Diego Delso, Jason Quinn, Felipe Del Valle Batalla, OutCrow, Natalie Becerra, Develp)