Ne pas être prisonnier de ses propres fantasmes

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Dans son dernier ouvrage, Variations insolites sur le voyage, Gérald Berche-Ngô passe en revue les expressions et les pratiques du voyageur contemporain. Un livre qui se dévore d’une traite, drôle mais aussi encyclopédique, où l’on sent à la fois l’amour et l’ironie un peu désabusée d’un auteur qui, lui aussi, a fait pas mal de route.

Roaditude – Gérald Berche-Ngô, nous apprenons de vous que vous avez « voyagé dans une trentaine de pays. » Quel voyageur êtes-vous ?
J’aime bien voyager léger, avec un seul bagage à main et le moins d’affaires possible. Mais il y tout de même deux choses qui me sont indispensables : un ordinateur pour écrire mon journal de bord et surtout pouvoir le sauvegarder dans le cloud (c’est la raison pour laquelle, après avoir perdu plusieurs fois mes notes, j’ai échangé mon Moleskine contre un Macbook…) et un casque pour écouter de la musique pendant les longs trajets en bus. Par contre, je fais partie de ces 3% de touristes qui pourraient facilement se passer d’un appareil-photo.

Vous publiez chez Cosmopole un petit abécédaire du voyage qui se révèle plein d’humour, plein d’anecdotes et d’enseignements. Un vrai plaisir de lecture ! Quelle est l’origine de ce projet, et quelles ont été vos intentions ?
Je m’intéresse particulièrement aux choses qui sont à la fois banales et étranges, et le voyage en est une. C’est cette ambiguïté que je voulais montrer, mais je ne voulais pas faire un livre trop sérieux. Le but, c’était de proposer un regard décalé et d’essayer de surprendre les lecteurs, tout cela au moyen d’un texte drôle, ludique et instructif sans être rébarbatif.

Vous évoquez Mythologies de Roland Barthes, et il est vrai que votre livre fait souvent penser à cet essai. Quelles sont vos influences, et quels sont vos coups de cœur de lecteur ?
C’est un beau compliment parce que Barthes, c’est quand même un sportif de haut niveau… S’il y a un peu de ses Mythologies dans mon livre, je dirais que je les ai croisées avec l’Almanach Vermot ! Quant à mes influences et mes coups de cœur, il y en a énormément. Dans la littérature, je n’en citerai cependant que deux : Céline et Cendrars. Juste parce que ce sont le Voyage au bout de la nuit et Bourlinguer qui m’ont donné envie de voyager quand j’avais vingt ans. Sinon, j’aime beaucoup les essais sur le tourisme de Marc Augé, Jean-Didier Urbain, Rachid Amirou. Et Comment parler des lieux où l’on n’a pas été de Pierre Bayard.

On se dit que le voyage est toujours une découverte, une ouverture sur le nouveau. Or, à vous lire, on comprend qu’il est sclérosé par le mythe, à l’heure des tour-opérateurs et des valise-scooters. Alors, quel avenir pour la figure du voyageur ?
Ces promesses de découvertes toujours fantastiques liées au voyage, de réalisation de nos rêves, de bonheur sur mesure, etc., c’est ce à quoi veulent nous faire croire les professionnels du tourisme pour nous vendre leurs produits. Mais il n’y a aucune certitude qu’elles seront tenues… Voyager est une expérience personnelle liée à l’imaginaire de chacun, une ouverture sur le monde autant qu’une exploration intérieure de notre univers culturel et symbolique. Tout peut donc arriver, le meilleur bien sûr mais aussi le pire (comme le montrent le syndrome de Paris ou celui de l’Inde). D’où l’importance, en tant que touriste, de ne pas être prisonnier de nos propres fantasmes. Dans chaque aéroport, dans chaque gare, à chaque poste frontière, il devrait peut-être y avoir un écriteau « Vous qui entrez, laissez toute espérance »…

A la lettre R, vous proposez un article sur les « routes mythiques ». Il se trouve que c’est l’un des plus longs de l’ouvrage. Quel regard portez-vous sur la mythologie de la route, et sur le concept de « road trip » ?
Je me suis intéressé aux routes mythiques (en particulier la Route 66, la Panaméricaine et la route de la Soie) en tant que symboles incontournables du voyage, de l’aventure, de la liberté. Mais ce que je trouve le plus insolite et fascinant, c’est que chaque pays ait la sienne (je cite notamment la route Mandarine au Viêt Nam, la Nationale 7 en France, la Stuart Highway en Australie, la Transcanadienne, etc.). Faire un road trip, et choisir sur quelle route on le fait, revient donc pour les « goudronautes » du monde entier à s’engager dans une double quête identitaire, à la fois individuelle et collective.

A titre personnel, existe-t-il une route qui vous anime, qui vous émeuve particulièrement ?
Il y en a plusieurs. Exactement 486 713, c’est-à-dire le nombre de toutes les routes qui mènent à Rome. Ce sont les membres du collectif allemand Moovel Lab qui ont fait le calcul et les ont même cartographiées. J’adore. (A découvrir sur Internet à l’adresse : http://roadstorome.moovellab.com/countries)


Gérald Berche-Ngô, Variations insolites sur le voyage, Cosmopole, Paris, 2016.

(Texte : Laurent Pittet / Crédit photo : Marc Charmey)